Bonne journée les bisexuels

Bonne journée les bisexuels

Partager

Et si on jouait aux devinettes ? Qu’est-ce qu’un bisexuel ? Un extra-terrestre ? Une personne aux mœurs légères qui n’arrive pas à se décider ? Ou une personne attirée par les deux sexes ?

 

"...ainsi la Nymphe et le berger, étroitement unis par leurs embrassements, ne sont plus deux corps distincts : sous une double forme, ils ne sont ni homme ni femme : ils semblent navoir aucun sexe et les avoir tous les deux »*. 

Le 23 septembre est une date qui est associée à la bisexualité. Une journée internationale censée donner plus de visibilité à des personnes qui assument leur attirance envers les deux sexes et qui, du coup, s’en trouvent inclassables par la société et ne répondent pas à ses injonctions de choisir une orientation et une seule.

 

Si Freud pensait que nous sommes tous bisexuels à la naissance, que nous devenons homos ou hétéros par la suite, la notion d’orientation sexuelle reste relative, voire inhérente à certaines sociétés et pas d’autres. Car oui, toutes les sociétés n’ont pas de cases où classer les gens, et les repères que nous connaissons changent d’une culture à l’autre.

« Là où il y a bisexualité, il y a différence. Là où il y a différence, il y a coupure, césure, castration des potentialités de jouissance du sexe complémentaire : inverse et symétrique. La revendication de la bisexualité réelle est refus de la différence sexuelle en tant que celle-ci implique le manque de l’autre sexe » écrit André Green, un des penseurs de la psychanalyse contemporaine.

 

Les Indiens d’Amérique pensent qu’une personne transgenre ou homosexuelle est une personne bénie des dieux, car elle a le don d’être à la fois masculine et féminine. Ces personnes appelées Berdaches occupaient des postes socialement et économiquement importants, comme celui de guérisseur, chamane, etc. En réalité, les Indiens ne cataloguaient pas les hommes selon leur sexualité, mais selon leur spiritualité et leur apport à la communauté.

 

Notre société à nous est faite de cases, et si par malheur, vous n’entrez pas dans l’une de ces cases, si vous ne collez pas aux stéréotypes connus et reconnus, vous êtes stigmatisés, étiquetés « phénomène étrange », « contre nature » et votre vie ressemblera à un enfer.

 

Du coup, deux choix s’imposent : faire abstraction de ce que vous êtes et jouer le jeu de la majorité ou faire face à la réalité et avec elle, à un système aux principes inébranlables, qui rejette la différence, par peur ou par ignorance, car considérés comme une menace à l’équilibre ou domine l’homme, le père. 

 

Il est inutile de rappeler le poids du patriarcat dans l’ancrage des stéréotypes, mais pas que. L’hétéronorme système prédominant dans notre société impose l’hétérosexualité comme norme et considère toutes les autres formes de sexualité ou d’identités sexuelles comme « différentes ».

 

« Vivre sa sexualité librement dans une société encore conservatrice n’est pas simple. Déjà, il faut se battre pour faire valoir l’idée que les femmes ont une sexualité, alors que dire quand il ne s’agit pas de sexualité normative. Ce n’est que dans les milieux dits ouverts ou progressistes que l’on peut se présenter comme bi. Il y a un amalgame que beaucoup font à propos de la bisexualité : les gens associent souvent la bisexualité aux pratiques sexuelles, et ne la considèrent pas comme une orientation sexuelle à part entière. Toutes les femmes qui couchent avec des femmes et hommes ne sont pas forcément bi mais ont une sexualité à forme multiple. Pour moi, je me définis comme une bi, pour toujours et à jamais, c’est mon orientation. Plutôt une bi féministe, car le féminisme m’a aidée à m’assumer » nous confie une militante féministe tunisienne. 

 

Il faut admettre que dans un pays où la sexualité des femmes est un tabou ou pis encore, chose inexistante, se revendiquer bi est quasiment un affront à la morale qui en léserait plus d’un et ferait sortir la femme du statut d’objet sexuel, à celui de personne autonome, indépendante et capable de faire des choix, d’assumer sa différence.

 

En général la bisexualité est associée à des pratiques libertines, qui ne s’insèrent pas dans le code de bonne conduite de la société bien-pensante. Elle est aussi synonyme d’instabilité. Et si pour certains il est plus difficile de s’assumer bi, pour d’autres, une femme ou un homme bi sont toujours « récupérables ». Ils finiront par se décider et rentrer dans les rangs, fonder une famille et oublier toute autre affinité sexuelle, à part pour le sexe opposé et plus précisément, pour le conjoint. Et c’est probablement de là que vient le rejet des bi par les homos. 

 

Car oui, les homosexuels n’acceptent pas l’attirance changeante des bi. Rejetés par les hétéros conservateurs, mais aussi par les homos, ils se retrouvent souvent à la marge. Pire, ils font face à une biphobie que les deux milieux cultivent.

 

Déconstruire les clichés, combattre les préjugés et la morale, mais surtout avoir de la visibilité, être compris, les femmes au même titre que les hommes, tel est le but de cette journée internationale de la bisexualité. 

 

Nous avons besoin de normes pour que le monde fonctionne, mais nous pouvons chercher des normes qui nous conviennent mieux. Judith Butler, Le récit de soi.

 

 

*Salmacis et Hermaphrodite, Bisexualité et différence des sexes