Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir

Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir

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À l’heure où l’on parle de braconnage, un peu comme tous les ans à la même période, il est utile de s’interroger sur certaines espèces disparues et qui avaient jadis peuplé nos contrées. Comment ont-elles disparu ? Sommes-nous, nous autres Tunisiens directement impliqués dans leur disparition ou d’autres sont-ils venus nous donner un coup de main comme le font actuellement nos « amis » qataris ? Romains, Français, ont tous participé à faire disparaître le lion de Barbarie par exemple, une sous-espèce endémique qui a vécu en Afrique du Nord jusqu’au début du 20e siècle. D’ailleurs, à quand remonte la disparition du dernier lion en Tunisie ?

 

C’était la fin du 19e siècle, même si l’on peut difficilement donner une date exacte, mais un soir se situant entre 1891 et 1900, le lion, le dernier lion de Tunisie est mort.

Certains situent avec précision cette disparition au Nord-Ouest (Babouch) en 1891. 

 

Il s’agit du lion de Barbarie également appelé Lion de l’Atlas, Panthera leo leo, une sous-espèce qui a vécu au Maghreb, entre les montagnes de l’Atlas, d’où elle tire son nom, et les côtes méditerranéennes. Un lion à la crinière foncée, majestueuse, beaucoup plus puissant et plus grand que le lion d’Afrique. Certains vous diront même que c’est de lui qu’on parle quand on cite « le roi des animaux ». 

 

Massivement persécutée, la population des lions de l’Atlas a progressivement diminué jusqu’à sa disparition totale au 20e siècle.

“Bien qu’aucun lion ne soit abattu en Tunisie après 1891, des rumeurs sur leur survie perdurent dans les années 1900 dans les montagnes du Khmir et près de Feriana” lit-on dans une étude sur l’extinction du lion de Barbarie et ses conséquences sur la conservation des félidés*.

Jusqu'à la fin des années 1800, des chasseurs ont signalé des lions se déplaçant du nord-ouest de l'Algérie vers l'ouest jusqu'au Maroc et du nord-est de l'Algérie jusqu'en Tunisie [19]. Après les années 1880, le schéma des observations suggère que les populations de lions se sont largement retirées dans deux directions; au Maroc, au sud des régions côtières, à travers le Rif, le Moyen et le Haut Atlas et les marges sahariennes; et en Algérie à l'est, dans le Tell Atlas et les montagnes Aurès, limitrophes de la Tunisie.

 

D’ailleurs dans son roman “Les belles de Tunis”, Nine Moati évoque dans une discussion entre deux personnages les lions de Tunis. 

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Extrait "Les belles de Tunis" - Nine Moati

Dans le livre, l’auteur situe la discussion au moment de l’inauguration du port commercial de Tunis. Inauguration qui eut lieu en mai 1893, donc deux ans après la disparition du dernier lion.

 

Le lion nous dit l’étude* a adapté son comportement pour survivre à la fin du 19e siècle (notamment après 1880). Pour cela il a dû vivre en petits groupes qui se répartissent sur des aires différentes de celles du passé, il s’est mis à chasser du bétail domestique aussi. Mais il semblerait que l’adaptation sociale n’ait pas été suffisante, ou qu’elle ait été quasiment absente, pour résister à l’extension des zones habitées par l’humain, la disparition des forêts et d’espèces dont le lion se nourrissait.

La chasse, quant à elle, est venue achever la population des lions, elle a été parfois classée comme mécanisme de défense des humains contre la prédation de bétail par les lions, mais pas que. 

 

En effet, le lion de Barbarie a toujours été chassé, et ce, depuis l’époque romaine, les mosaïques en témoignent, où des gladiateurs l’ont combattu dans les arènes et dans les Colisées. Les lions venaient alors d’Afrique du Nord puisqu’ils avaient déjà disparu d’Europe depuis bien longtemps. Leur nombre commença donc à être réduit jusqu’à l’introduction des armes à feu dans la chasse avec la venue des colons en Tunisie, Algérie et Maroc. 

À cette époque, les autochtones suivaient les traces des félins permettant ainsi aux chasseurs armés et accompagnés de chiens de les chasser. Léon Roches, diplomate français qui vécut en Algérie durant des décennies décrit en 1903 une scène de chasse vécue des années plutôt :

 

« Dès que le jour commença à poindre, nous montâmes à cheval. Je compte environ deux cents cavaliers, qui étaient précédés par un nombre égal de fantassins, la plupart armés de fusils ; les autres tenant les chiens en laisse.
« Le chef de la chasse, cavalier et chasseur renommé ordonna aux traqueurs de lâcher les chiens de piste, qui sont d'une race très petite et qui, seuls de tous les animaux, n'ont pas peur du lion, sans doute parce que celui-ci les méprise à cause de leur taille exiguë [...] Deux ou trois coups de feu retentirent, nous vîmes alors le noble animal s'élancer en quelques bonds sur une large clairière, se coucher à plat ventre, appuyer son énorme tête sur ses deux nattes de devant et se frapper les flancs de sa queue avec une telle force, que nous entendions résonner les coups.
[...]
« Il se coucha de nouveau, fit encore trois bonds, et trois hommes furent renversés»…  

 

Le lion de l’Atlas figure dans bien d’autres récits comme ceux de Léon l’Africain ou sur des peintures d’orientalistes, sans parler des fresques en mosaïque où se mêlent animaux fantastiques de la mythologie Romaines et animaux ayant bien vécu comme le lion de Barbarie.

 

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Horace vernet

 

Aujourd’hui il existe encore des lions d’Atlas dans certains parcs animaliers comme celui de Rabat au Maroc. Les scientifiques affirment cependant qu’il faut passer par des tests ADN pour prouver que ces lions ne sont pas hybrides. Mais, ce qui est sûr, ces lions ne rugiront plus jamais en liberté, parce que nous avons fait disparaître leur habitat.

PS : les dernières recherches, basées sur des statistiques et des témoignages collectés auprès de personnes âgées situent la date de disparition des lions de l’Atlas en Algérie et au Maroc aux alentours de 1965.

 
* Examining the Extinction of the Barbary Lion and Its Implications for Felid Conservation