Danse : Eh bien , transgressez maintenant !

Danse : Eh bien , transgressez maintenant !

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La danse, un langage sans mots, une révolution silencieuse qui creuse depuis quelque temps son ruisseau à travers les pierres (presque) impénétrables du genre. Il est clair que le corps des hommes arabes ne se contente plus des mouvements qu’on lui permet. La danse est devenue une manière de transgresser avec subtilité les limites du genre.

 

La photo est celle de Kazuya Huno, danseur japonais qui est un des pères de la danse contemporaine. Sa carrière commence réellement à 71 ans, quand il apparaît sur scène le visage blanchi à la poudre de riz, maquillé, incarnant une prostituée qui attend la mort. Bien que les hommes déguisés en femme ont toujours existé dans les cafés chantants et les fêtes en Tunisie, cette « pratique » n’a jamais été élevée au rang d’art.

 

Fusil et foulard, la danse de la virilité :

La danse populaire est une construction, la résultante de plusieurs bouleversements historiques et autres. La preuve en est, la disparition du fusil dans la danse populaire tunisienne s’explique par un décret sous le protectorat français qui interdisait le port d’armes. Dans son texte, « Danse des hommes et transgressions sociales » Hafsi Bedhioufi énumère les différentes danses dont le socle est la « Rjoulia » ; il s’agit pour l’homme d’exprimer sa virilité par des mouvements sans déhanchement, ni ondulation des mains ou des épaules. La danse reste ainsi, même dans un contexte de fête, une incarnation du guerrier courageux qui porte l’honneur du groupe.

 

Le Reboukh, la danse des ouvriers :

C’est dans les milieux ouvriers de Tunis que le reboukh a vu le jour. Après une journée exténuante, et dans le secret des « tbarna », les hommes se réunissent pour boire, jouer aux cartes et fumer. Émanent alors, dans l’ambiance enfumée, les voix des mineurs de phosphates et de plomb pour conter la vie, le travail, l’amour, et l’espoir au rythme de la darbouka. Les mouvements sont ceux des tâches quotidiennes à la mine, mais la danse prend un tout autre tournant au moment où un jeu de rôle s’installe. Deux ouvriers se déchaînent alors au rythme de la darbouka et du fazani, et se lancent dans un jeu de rôle homme/femme. Boudhaouia écrit : « Il est important que le cœur lourd finisse par devenir plus léger, et que l’homme danse pour renouer avec la vie. Il est important qu’il trouve un partenaire pour que l’union se fasse dans la fiction de la danse, pour qu’Éros soit convoqué… »

 

Les Drag queens de Bab Souika 

Oui, un homme habillé en femme, dansant sur une scène dans un café chantant, n’est pas un produit purement occidental, il s’agit de Sadawi. Des danses que l’histoire a longtemps voulu enterrer, car elles reflètent non seulement le questionnement du genre dans un pays arabo-musulman, mais aussi un fantasme arabe qui existe depuis Abou Nawas, Al-Jahiz et Ibn-Arabi. La question LGBT n’est jamais permise dans ce cas-là, un non-dit qui flotte au-dessus des danseurs depuis toujours.

 

La danse des foulards exécutée par des hommes « efféminés » s’invite aussi dans les mariages. Un homme se déguise en femme, se voile le visage, et se déhanche avec insistance imitant les actes sexuels sur fond de youyous et de sifflements. Hafsi Bedhioufi met en parallèle cette danse et la lutte LGBT en Tunisie : « L’identité de l’homme dansant est dévoilée à la fin du spectacle. Elle nous rappelle la sortie des homosexuels tunisiens de la clandestinité. Dévoiler son homosexualité se fait par ces rôles et dans des situations de liesse populaire.... les hommes peuvent jouer avec la représentation du sexe des femmes, mais les femmes ne peuvent pas plaisanter avec la mise en scène du sexe masculin »

 

Le corps, toujours le corps, barrière pour certains, repère sacré pour d’autres. Le corps se métamorphose par la gestuelle, les danses, et par les idées des chorégraphes. Il reflète la situation d’un pays ou celle de l’individu dans le monde. Il n’est pas seulement un outil, mais un langage, qui, dès notre enfance, nous pousse à nous découvrir, puis à découvrir l’autre. C’est ainsi que dans « le dictionnaire du corps », Bernard Andrieu et Gilles Boëtsch, écrivent : « Les danses sont une transgression constituante du savoir artistique... les danses sont comme un jeu, un divertissement de l’Homme, jeu offrant des voies de transgression multiples… »