"Douleur et gloire" . Almodovar et les tourments apprivoisés...

"Douleur et gloire" . Almodovar et les tourments apprivoisés...

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J’avoue que c’est avec beaucoup d’appréhension que je me suis résolu à visionner le dernier film de Pedro Almodovar,
« Douleur et gloire ».
Je l’avais raté de peu à Cannes. Et j’ai trainé un peu lors de sa sortie sur les écrans tunisiens.
Appréhension et indolence cinéphilique. Car il y a eu un moment où les films de la figure de proue de la movida avaient fini, non par me lasser, mais par ne plus me surprendre.
Le style et l’univers de l’auteur me semblaient courir vers un certain épuisement.
Almodovar n’a pourtant pas cessé de réussir ses films. Quand il s’agit de provoquer les émotions et de tresser, d’une manière
à la fois habile et géniale, des contes où il savait insuffler de la poésie et de l’humanisme aux détails les prosaïques du
quotidien.
Mais il se trouvait que les situations les plus bizarres et les personnages les plus bigarrés, drôles à force d’hystérie et de
déprime, retors et fêlés, ne parvenaient plus à troubler le regard. Ni à créer ce sentiment d’une nouveauté.
Le cinéma d’Almodovar restait subversif, inventif. Les films bourrés de trouvailles scénaristiques et d’exubérance au niveau
de la mise en scène et de la scénographie. L’auteur du virevoltant « Kika » continuait à tirer le meilleur de ses
comédiens, mais quelque chose se perdait…pourtant… La grâce des premières fois, peut-être ?
Cette grâce, voilà qu’elle revient avec « « Douleur et Gloire. Et on se dit de nouveau que personne ne peut filmer la tendresse
d’une aussi belle manière… Film introspectif, Douleur et gloire, s’il reprend tout ce qui fait la
force du style d’Almodovar, n’en propose pas moins quelque chose de neuf au milieu de l’hystérie, du chaos et des blessures : une ligne apaisée, un renoncement qui semble
ouvrir à une nouvelle énergie créatrice…
Car c’est bien de création qu’il s’agit. Et dont le manque ébranle le corps. Ecrire et filmer, semble dire Almodovar, sont, avant
tout, des activités physiques. Corps à corps avec les mots.
Corps à corps avec les péripéties du tournage. Corps à corps avec les comédiens…
Salvador Mallo ( « immense » Antonio Banderas), réalisateur en mal d’inspiration est loin d’être en paix avec son passé familial, amoureux et professionnel.
Mallo se coltine pas mal de maladies et de phobies qui vont du mal de dos handicapant à l’agoraphobie qu’il soigne à coups
d’opiacés et d’anxiolytiques.
Mallo a perdu le gout de vivre. Il végète affectivement et artistiquement et pour sortir de ce marasme, il s’initie à
l’héroïne…
Sa gloire internationale et ses innombrables admirateurs ne peuvent le sortir de sa déprime et de sa douleur…
Mallo sombre corps et âme. Et il choisit la fuite…
Mais, comme le dit la chanson, on peut échapper à tout, sauf à
soi-même…
Ce sont donc trois personnages ressurgis du passé qui vont aider Mallo à se retaper…
Une maman acariâtre et culpabilisatrice qui a rêvé d’une autre destinée pour son fils.
Un ancien comédien héroïnomane avec qui Mallo est en froid. Le réalisateur le recontacte à l’occasion de la projection à la cinémathèque d’un film qui a fait leur renommée…

Rencontre qui nous vaut ce balancement entre la tragédie et le loufoque qui rappelle les plus beaux moments de délire almodovarien…
Et, enfin, l’ancien amoureux disparu des radars et qui revient « pacifier » une relation qui fut tumultueuse. Retrouvailles qui
nous valent un très beau moment de cinéma…tendre et mélancolique…
Et c’est là que le génie d’Almodovar opère. Quand le désir est
fort de ce qui ne s’accomplit pas…et reste en suspens dans l’échange de regards…
« Douleur et gloire » est un film sur la résilience. Et sur la beauté de vivre qui se niche au cœur des plus lourds tourments…
C’est le film d’un Almodovar, enfin, apaisé…