Du Velvet Underground pour la révolution de velours !

Du Velvet Underground pour la révolution de velours !

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« People Must Have to Die for the Music ». C’est sur ces paroles de Lou Reed que nous allons reprendre pour vous une histoire hors du commun, celle de l’héritage du Velvet Underground en Tchécoslovaquie. Cette histoire, nous allons vous la raconter à travers la rencontre à Prague en octobre 1990 de Lou Reed et de Václav Havel. Havel, c’était un poète, un dramaturge, un dissident, mais aussi le premier président de la Tchécoslovaquie post-communiste, et plus tard de la République tchèque. 

 

Peu avant le départ vers la Tchécoslovaquie, Lou Reed joue au stade de Wembley à l’occasion d’un grand concert organisé en soutien à Nelson Mandela. ce dernier venait d’être libéré après vingt-sept années de détention. Dans son recueil de textes Between Thought and Collection (1991), Lou revient sur cet évènement, retransmis partout dans le monde sauf aux États-Unis (où d’après lui le concert été perçu comme ‘trop politique’). Comme presque tout le monde, il regarde le discours de Mandela à la télé. Il n’arrêtait pas de se questionner quant au fait d’être emprisonné aussi longtemps pour une idée. 

 

Le voyage de Prague, le voyage de l'inattendu 

 

C’est avec cette question en tête qu’il prend l’avion pour Prague. Il y va pour rencontrer Václav Havel et l'interviewer à la demande du magazine Rolling Stone. Vous vous demandez sûrement ce que ces deux personnages ont en commun et pourquoi ils allaient se rencontrer… Le fils spirituel d’Andy Warhol va découvrir qu’il fut aussi un père spirituel pour une génération entière de tchécoslovaques. Son Velvet Underground s’avère être une composante artistique clé de l’opposition au régime communiste  pour plusieurs décennies. 

 

Czechoslovakia !

 

Pour mieux comprendre, il faut d’abord se plonger dans le contexte de la Tchécoslovaquie des années soixante. Entre janvier et août 1968, les tchécoslovaques et leur Printemps de Prague viennent tenter plusieurs réformes économiques de décentralisation et une libéralisation relative de la presse. Menée par le réformateur et nouveau président Alexander Dubček, cette nouvelle vision du communisme suscite rapidement une aspiration à des changements politiques dans le pays. En août, le grand frère soviétique réplique violemment avec ses troupes alliées au nom du Pacte de Varsovie. L’invasion militaire qui eu lieu impose la “normalisation”, soit le retour aux standards soviets de libertés et de droits. Sauf qu’en ce même moment, le rock ’n’ roll voyage toujours et touche de plus en plus d’oreilles dans le monde. À partir de la "normalisation", les musiciens tchèques se trouvent soit dans l’obligation de se séparer, soit de jouer clandestinement, au risque de l'emprisonnement et de la censure.

Un seul groupe a continué à jouer à ses risques et périles, les Plastic People of the Universe. En découvrant leur musique, on y entend de suite du Velvet Underground et du Frank Zappa. Durant toute la période de “normalisation” (1968-1989), ce groupe sera le plus représentatif de l’opposition culturelle clandestine. Ils se font arrêtés, tabassés, mais jouent quand même et reprennent le catalogue du V.U, qu’ils ont découvert (pour l’anecdote) grâce à Václav Havel. 

 

C’est à travers la rencontre d’Havel et Lou Reed que ce dernier va se rendre compte de l’influence de sa bande dans la révolution de velours - la Velvet Revolution - qui ne manque pas de coïncider non seulement lexicalement avec les Velvet Underground, mais aussi sur d’autres aspects du combat tchèque. 

Dans le mid-seventies, les Plastic People ne jouaient plus que lors de concert secrets - Ils se produisent notamment chez Havel qui était dans sa jeunesse un grand amateur de rock et de Frank Zappa. Ils sont  persécutés et  arrêtés une nouvelle  fois.  Pour les faire libérer, un mouvement s’organise autour d’Havel et il sera soutenu par de nombreuses personnalités tchèques. En 1977, le groupement s’élargit et décide de rédiger une charte pour le respect des droits de l’homme. C’est cette “Charte 77” qui les mènera au pouvoir en 1989 à travers la révolution de velours ! 

 

En 1990, Havel expliqua à Lou Reed le rôle central du Velvet Underground dans la solidification du groupe de dissidents à l’origine de la “Charte 77”. Ces dissidents étaient tout simplement de grands admirateurs du V.U. 

Quant aux Plastic People, ils réapparaissent sur scène peu avant 1989 (profitant de la perestroïka) et enregistrent aussi un album contenant deux morceaux en hommage à V.U : l’un est intitulé Song for Nico et l’autre est une reprise de All Tomorrow's Parties. D’ailleurs, on vous invite à découvrir leur plus grand succès, l’album Egon Bondy’s Lonely Hearts Club Banned (1976), qui fut enregistré chez Václav Havel.

 


 

La mythique rencontre ne s’arrête pas à la discussion entre les deux protagonistes. Le Président insiste pour que Lou joue dans un club le soir même - dans une ambiance privée et discrète - devant près de deux cents anciens dissidents. Deux cents fans qui ont risqué gros durant vingt ans en écoutant illégalement des disques du V.U. 

C'est ainsi que Lou entre au club Je Podivna, et découvre Pulnoc (groupe formé d'anciens membres du Plastic People) déjà sur scène. Ces derniers jouent à la perfection le catalogue du V.U et Reed reste choqué.  

« Les chansons s'enchaînaient de façon magique, toujours avec la même passion [...]  J’avais l’impression d’être dans une boucle spatio-temporelle. Comme si j’étais revenu dans le passé pour m’écouter jouer. Dire que j’étais ému serait un faible mot. » (extrait de Between Thought and Collection - 1991). Devant les dissidents, Lou joue quelques morceaux en solo puis se fait rejoindre par le Pulnoc, moment mémorable qu’il décrit comme “si il jouait avec les siens dans les années soixante”.  Václav Havel le reçoit ensuite à sa table et lui présente des dissidents, dont certains ont étés emprisonnés pour avoir joué sa musique. Un rescapé des geôles tchèques lui raconte avoir récité sans cesse la phrase « People Must Have to Die for the Music » pour tenir le coup en prison, une phrase qu’avait écrit Lou quinze ans plus tôt.

 

« Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pas imaginé cela. Mes disques et ceux du Velvet Underground parlent, de façon implicite, de la liberté d’expression - la liberté d’écrire sur les sujets qui vous plaisent, de la manière qui vous plaît. Et cette musique avait trouvé une vraie résonance, ici, en Tchécoslovaquie. » (extrait de Between Thought and Collection - 1991).

 

La soirée approche à sa fin, le nouveau Président doit partir écrire un discours (il écrivait lui-même ses allocutions). Avant de quitter le club, il offre à Lou un petit carnet noir où figurent les paroles de ses morceaux traduits en tchèque. Havel explique à Reed que ces paroles écrites à la main ne figurent que dans deux cents exemplaires dont il en avait désormais un. 

 

Lou Reed est à la Tchécoslovaquie ce que Sixto Rodriguez est à l'Afrique du Sud. La puissance culturelle  de la musique n’a pas de frontières quel que soit le contexte politique, social ou tout simplement humain. Découvrez, écoutez et partagez avec les autres, votre impact est immesurable.