Il était une fois Tunis, la liberté et une Drag-Queen...

Il était une fois Tunis, la liberté et une Drag-Queen...

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Le soir du 18 janvier 2018, les planètes se sont alignées, aux Etats unis on débattait de la santé mentale de Trump et, le peuple tunisien ne se doutait pas de ce qui se passait à El-Teatro.

 

18 janvier 2018, il est 17h30, les portes de l’espace sont grandes ouvertes pour accueillir les initiés venus regarder le show le plus attendu de la semaine, celui de “Khoukha”.

Khoukha est un personnage qui est né sur les réseaux sociaux et qui, au fil du temps, s’est construit une réputation.

 

Suivie par des internautes de la communauté LGBTQI++ ou même par quelques hétéros, Khoukha Mcqueer est devenue incontournable. Cette artiste c’est aussi des textes en dialecte tunisien où elle partage ses humeurs, ses histoires et ses maux avec une poésie populaire rarement vue chez la génération Y .

 

Lors de notre première rencontre, c’est son chapeau en feutre et sa voix calme qui m’ont d’abord marquée. Ensuite, c’est la symétrie de son visage, ses yeux en amande et sa barbe dense qui m’ont hypnotisée. Avant-même de l’entendre dire quoique ce soit de pertinent, il était évident que cet être était habité, il était l'incarnation de son époque. Khoukha Mcqueer était aussi une bonne ambassadrice du Queer Film Festival qui se déroulait à Tunis, du 15 au 18 Janvier, dans la plus grande discrétion.  Le courage de ce barbu aux faux cils me fascinait, où trouvait-il toute cette audace? Et d’où venait ce “je ne sais quoi” qui en faisait une icône ? J’allais le comprendre ce soir.

 

 

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Répetitions #1 . Crédit : Rym Haddad
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Répetitions  #2 crédit: Rym Haddad
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Répetitions #3 Crédit : Rym Haddad

 

J’ai eu la chance d’aller dans les loges pour voir la diva se préparer. Voilà une étape incontournable dans la culture Drag, pouvoir y assister est un privilège. Une drag Queen c’est un maquillage et un costume, sans eux elle n’est rien. Les connaisseurs le savent, c’est une étape sacrée. Khoukha est entourée d’amis et de collaborateurs qui l’aident dans la loge bordélique à finir de se préparer, il y a des sacs remplis d’oranges sous la chaise, un cendrier et du maquillage à n’en plus finir. Les allées et venues d’amis dynamisent ce petit espace : un jeune garçon, barbe et cheveux longs met une robe rouge et s’admire dans le miroir, arrive alors Amina habillée d’une robe baroque , elle s’assoit et complimente la diva sur sa beauté. Tous sont souriants, heureux d’être visibles et aimés le temps d’une soirée.

Khoukha se déshabille enlève une lingerie inconfortable, modifiant sa silhouette à coup de rembourrage, elle étale du fond de teint sur ses jambes. Elle regarde le miroir et demande combien de temps lui reste-elle ? L’étape la plus importante arrive; mettre les faux cils, elle y est !


 

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Loge #1 Crédit : Rym Haddad
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Crédit photo: Rym Haddad

 

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Loge #3 Crédit : Rym Haddad

 

 

Côté public la salle est pleine, les applaudissements fusent, et les youyous aussi . Des jeunes, des moins jeunes, des artistes comme Fatma Ben Saidane et Nadia Boussetta membres du jury du festival sont là. Des activistes, des féministes, il y a de tout sauf les homophobes, les religieux et les fanatiques de l’hétéronormalité.

Le rideau se lève , Khoukha est en silhouette, robe paillette dorée et couronne sur la tête, les projecteurs s’allument, le silence règne, on découvre la reine de la soirée. Elle s’avance , deux jeunes hommes viennent l’aider à s'asseoir sur un banc rouge, elle est accompagnée d’une musicienne qui jouera du qanûn pendant que Khoukha nous contera l’histoire d’un petit garçon trop gay aux yeux de son père. Des rires remplissent la salle pendant que Khoukha raconte sa petite gay-story pleine d'humour malgré l'homophobie puante dont a été victime le petit garçon de l’histoire.

Khoukha se lève et commence un autre numéro, plus sensuel, plus osé, sur "Partition" de Beyoncé. Elle n'est habillée que d'une culotte blanche qui monte audessus du nombril, de talents aiguilles, d'une barbe et d'une couronne. La lumiére est rouge et les yeux des spectateurs sont grands ouverts pour ne rien râter de cette créature si attirante et si étrange à la fois . On n'a pas envie que ça finisse.

 

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#loge 6 : L'indispensable. Crédit : Rym Haddad

 

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Micro d'une reine   Crédit : Rym Haddad

_J'ai grandi dans l'été, avec tous les hommes de mon âge, aux tambours de la première gurre, et notre histoire n'a cessé d'être meurtre, injustice et violence_ (2).jpg

 

Le show est terminé, ce fut une belle clôture pour la première édition du Queer film Festival, les membres de Mawjoudin et les bénévoles montent sur scène, ils sont jeunes, libres et beaux, l'émotion est grande. Des applaudissement encore, pour ces jeunes gens qui croient fort à la liberté d’être ce qu’ils sont, pour ces maghrébins qui viennent d’écrire une page de l’histoire tunisienne et arabe. Ce soir, il était parfois nécessaire de se rappeler qu’on est en Tunisie, le pays qui a le plus de citoyens au sein de Daech, le pays qui met les homosexuels en prison.

En sortant de la salle, traversant la grande rue devant le Mechtel, en observant ce café populaire et les hommes qui y jouent aux cartes , on ne peut s’empêcher de se sentir privilégié d’avoir vécu à quelques mètres d’eux , un moment déjà devenu mythique.