Kazan, au bout du rêve américain…

Kazan, au bout du rêve américain…

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Elia Kazan, fils d'immigré gréco-turc, est un metteur
en scène de génie, actif à Broadway comme à
Hollywood. Il a fondé l'Actors Studio, découvert
Marlon Brando, Robert de Niro, Faye Dunaway et James
Dean. Au sommet de sa gloire, et dans le contexte de
la chasse aux sorcières, il « donne » d'anciens
camarades communistes.
Qu’est ce qui a fait que cet enfant dont la
trajectoire incarne au mieux le rêve américain, soit
devenu l'artiste le plus controversé de son temps ?
Comment un artiste progressiste peut-il se
transformer en un obscur mouchard et collaborer avec
l’ignoble sénateur Mac Carthy ?
Jusqu’à quel point cette trahison a-t-elle marqué la
destinée humaine et l’itinéraire artistique de
Kazan ?
Ou « Comment le cinéaste le plus admiré d’Hollywood
est-il devenu le plus contesté ? ».
C’est essentiellement à ces questions qu’essaie de
répondre le documentaire de Claire Duguet, intitulé,
« Un américain nommé Kazan » sorti l’an dernier et
produit par Arte.
S’il ne se singularise pas par son traitement
filmique, ce portrait du réalisateur de l’immense
America America, peut faire fonction d’entrée en
matière assez conséquente de l’œuvre de ce cinéaste
brillant. Un génie qui restera à jamais entaché par
ce geste bien sombre…
La réalisatrice respecte la chronologie, multiplie
les marques d’admiration et cède même au péché mignon
de la voix off pour commenter les péripéties d’une
vie pas toujours facile qui a formé et raffermi la
personnalité de Kazan. Un homme extrêmement solitaire
en fin de compte. Et qui a fait de cette solitude une

véritable force. Son dans son travail
l’aurait presque rendu indifférent à ce qui peut
passer pour des jugements moraux. Aussi justes soit-
il…
Peut-être que Kazan, comme il le déclare quelque part
dans le film, un peu provocateur, n’a été au fond
qu’un « bon américain qui croit aux valeurs
traditionnelles… »
En remontant à la jeunesse de l’auteur, la
réalisatrice insiste sur quelques aspects qui ont
construit la personnalité de Kazan. La rage rentrée,
la rancœur, la frustration. Ce sentiment de ne pas se
sentir américain à part entière…
Kazan a-t-il mouchardé pour ne pas perdre cette
identité qu’il a tant lutté pour arracher ?
C’est l’hypothèse que défend subtilement le film.
Kazan a toujours été un outsider. Et l’affaire de la
liste noire n’a fait que renforcer ce statut…
Le fait qu’il soit devenu l’incarnation du traitre en
écrivant un texte où il appelle les cinéastes à
dénoncer leurs collègues, n’a pas détruit Kazan
artistiquement. C’est ce que déclare le cinéaste
James Gray, l’un des interviewés.
Après une petite crise de conscience Kazan reprend le
boulot, et de quelle manière !
Il réalise Sur les quais, en levant les fonds lui-
même, créant dans la foulée la démarche du cinéaste
indépendant.
Le film obtient 8 oscars. Malgré ce succès Brando
signifie à Kazan la fin de leur amitié. Il ne lui
pardonne pas la délation !
Il ne sera pas le seul…la polémique se poursuit
jusqu’à aujourd’hui…Kazan ne s’étant jamais excusé…

Disparu en 2003, Kazan aura été l’auteur de
l’incontournable Un tramway nommé désir, film qui a
révolutionné le jeu d’acteur en mêlant l’excès et la
retenue, il est considéré comme le précurseur du
Nouvel Hollywood puisque son cinéma a brisé les
tabous qui pesaient sur le cinéma américain, il
restera, comme ses héros, l’homme qui a accepté sa
dualité…loyal et infidèle, admiré et exclu, il
restera aussi le réalisateur d’un chef d’œuvre
absolu : A l’Est d’Eden !

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