Le cinéma arabe à l’épreuve du Nord

Le cinéma arabe à l’épreuve du Nord

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Quatre cinéastes tunisiennes primées (dont le prix du meilleur documentaire à Nada Mezni Hfaiedh pour « Au-delà de l’ombre ») et un premier prix qui est allé à « Wajib » de la Palestinienne Anne-Marie Jacir. Le Festival du film arabe de Malmö, un festival féministe ? C’est surtout une manifestation qui joue à fond la carte de la diversité et du networking.

Rencontre avec le directeur et fondateur du MAFF, Mohamed Keblawi.

 

À sa création en 2011, peu auraient parié sur la pérennité du Festival du Film arabe de Malmö (MAFF).

Cette manifestation est aujourd’hui à sa huitième session (tenue du 5 au 9 octobre 2018) et son directeur, Mohamed Keblawi,omniprésent lors du Festival, peut se targuer d’avoir réussi un vrai challenge. 

 

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Mohamed Keblawi, directeur et fondateur du MAFF

 Il réunit une palette représentative de ceux qui font le cinéma arabe. Critiques, cinéastes, producteurs se retrouvent dans la jolie ville de Malmö, que les autorités locales sont en train de transformer en un fleuron de la diversité. L’image de cette cité, façonnée par les arts et la culture, est déterminante, affirment les responsables, pour renforcer son attractivité et son potentiel économique.

Quand on lui demande comment a germé l’idée d’un festival du film arabe en Suède, pays qui n’a pas de relations historiques fortes avec le monde arabe, il répond : « Les Suédois sont réservés. Ils ne font pas le premier pas. Ils cherchent l’information du côté des livres et des revues. Beaucoup de réfugiés parlant arabe sont arrivés en Suède ces dernières années. La société suédoise connaissait peu de choses de ces nouveaux venus. Nous avons pensé que l’image était à même de faire connaître aux Suédois la culture et la réalité de ces sociétés.

Le printemps arabe a donné plus de force à notre idée. Il a aussi attisé la curiosité des Suédois et les a attirés dans les salles. Ils constituent aujourd’hui la moitié de notre public… »

Ce festival qui ambitionne de devenir une plate-forme pour la promotion du cinéma arabe en Scandinavie a développé, depuis les dernières sessions, un marché qui se transforme en un véritable forum de rencontres où les producteurs et distributeurs suédois s’impliquent de plus en plus. Des bourses au développement consistantes sont aussi offertes. Produite par Néjib Ayed et le suédois Leif Mohlin, Emna Najjar a reçu la bourse de développement pour le court métrage.

Comme exemple de réussite de ce networking qui tend essentiellement à stimuler les opportunités de coproduction et de distribution entre les industries arabes et scandinaves, Mohamed Keblawi cite « La Belle et la meute » de Kawther Ben Henia puisque ce film a été soutenu par l’Institut du film suédois (SFI) et coproduit par une société suédoise indépendante (Laika Film & Television) et le Fonds Film i Väst. Le chef opérateur étant le suédois Johan Holmquist. 

Au vu des films programmés lors de cette session, le festival se positionne du côté du cinéma d’auteur. N’est-il pas risqué pour une manifestation qui veut promouvoir une cinématographie méconnue de tabler sur un cinéma plutôt élitiste ?

La réponse de Mohamed Keblawi est claire. Il relativise la différence entre cinéma d’auteur et cinéma commercial. « Il faut voir le public d’une manière positive », nous déclare-t-il.

Les films programmés en ouverture et clôture de cette session sont d’ailleurs des films de genre. Il s’agit de Induced labour, comédie amère et un peu poussive de Khaled Diab. C’est l’histoire d’un couple égyptien qui ne trouve pas mieux que de se ruer dans les locaux de l’ambassade américaine pour que l’épouse donne naissance à un bébé, lui assurant ainsi la nationalité américaine !

Le film de clôture, Gunshot de Karim Shenawy, un peu hitchcockien, mais à l’intrigue alambiquée, conte les limites du mythe révolutionnaire (le martyr s’avérant être un manipulateur doublé d’un fils indigne !) et la résilience d’un médecin alcoolique empêtré dans les affres d’une relation tendue avec le père. Il est aidé dans sa remontée des abysses de la déprime par une journaliste, avec un côté seul contre tous qui fait cliché.

Le festival joue l’ouverture qui lui garantit la diversité. Il se positionne, ainsi, loin de la concurrence acharnée- et souvent pathétique- engagée entre certains festivals arabes pour arracher des premières mondiales ou régionales sans véritables soucis de la qualité des films !

Comme le remarque le directeur du MAFF, il s’agit surtout d’offrir un panorama des meilleures productions arabes des deux dernières années. 

Les films polémiques sont prisés par le Festival. Les séances de questions/réponses qui succèdent aux projections permettent un contact direct et à chaud avec l’équipe du film, même si certains débats s’avèrent assez « animés » !

Les programmateurs tiennent aussi compte des équilibres en termes de géographie et de genre. 

Au-delà d’un marché de plus en plus performant, le MAFF a aussi provoqué un intérêt pour le cinéma arabe. Le festival organise aujourd’hui des journées du cinéma arabe dans cinq villes de Suède. Il offre aussi la possibilité aux écoles et lycées de commander des films arabes pour des projections dans un cadre pédagogique.

Nous signalerons pour clore que « Benzine » de Sarra Abidi a reçu le prix du meilleur rôle masculin qui a récompensé la belle prestation de Ali Yahiaoui et que « Black Mamba » d’Amel Guellaty a reçu le prix spécial du Jury du court métrage de fiction.