« Les valeureuses » de Sophie Bessis : aux origines du féminisme tunisien

« Les valeureuses » de Sophie Bessis : aux origines du féminisme tunisien

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Le bouillonnement de la phase de transition que traverse la société tunisienne aujourd’hui, a remis sur le tapis la question identitaire, devenue un vrai sujet de débats qui touche tout le monde sans exception.  Avec son dernier ouvrage « Les valeureuses, cinq Tunisiennes dans l'histoire », Sophie Bessis, à la double casquette d’historienne et de journaliste [1], s’inscrit dans ce débat à travers le prisme de son domaine de prédilection : la question de la femme et l’enjeu qu’elle représente dans le monde arabe.

 

Très préoccupée par ce sujet, elle l’a déjà traité à deux reprises auparavant, une première fois dans « Femmes du Maghreb » (1983) puis dans « Les Arabes, la femme et la liberté » (2007). La native de Tunis et militante des droits de l’homme poursuit ainsi sa contribution à la mise en lumière du féminisme tunisien.

 

L’idée d’écrire sur des figures féminines ayant marqué l’histoire est le fruit de la collaboration avec la maison d’édition Elyzad. Trois critères ont déterminé ce choix de sujet : d’abord le lancement de la collection « femmes rebelles ». Avant de penser à la Tunisie comme pays pourvoyeur de cette gent idolâtrée par la postérité, le coup d’envoi a été donné à Michelle Perrot, également historienne et militante féministe, ayant sélectionné trois figures féminines du XIXe siècle français. Contrairement à sa consœur qui a vu son travail facilité par un fond conséquent de sources, Sophie Bessis, elle, a  été confrontée à un terrible manque de documents. Devant ce constat, l’auteure a élargi sa sélection à cinq portraits qu’elle a dressés, avec un style aisé à lire, mêlant à la fois les aspects fictionnels et les faits historiques.

 

Le deuxième critère de sélection, est qu’il s’agit de femmes mythiques ayant traversé  l’histoire de la Tunisie. Aussi, dans l’imaginaire collectif, trônent Elissa la reine Didon pour la période antique, Saïda Manoubia pour celle des Hafsides, Aziza Othmana pour l’époque moderne et enfin Habiba Messika et Habiba Menchari pour l’époque contemporaine.

 

Le troisième et dernier critère est que le mouvement des femmes tunisiennes a toujours revendiqué ces figures en tant que femmes militantes pour asseoir leur légitimité historique.

 

La transgressivité féminine à la source de la  mythification

L’apport du récit mené par l’auteure réside dans son angle de vue. À la différence de quelques rares études académiques, Sophie Bessis fait ressortir une caractéristique commune à ces figures légendaires, qui est la transgressivité féminine. Les présentant sous cet éclairage singulier, elle propose ainsi, une lecture nouvelle et une perception inédite, et cela concerne non seulement l’histoire à l’échelle individuelle, mais aussi celle de toute la Tunisie dont ces femmes sont la métaphore.

 

Aussi contrastés que les profils de ces actrices pionnières puissent paraître, ils se recoupent et se croisent autour du fait qu’elles jouent toutes des codes de la société dans laquelle elles ont vécu.

 

 À travers ce prisme, on retient l’insistance sur les actions qu’elles ont réalisées comme pour souligner que la libération de l’esprit revendiquée par ces femmes n’est animée que par un seul but : faire progresser le pays. Liberté certes, mais constructive. Liberté certes, mais à quel prix ? En parallèle avec l’audace dont témoigne le récit de ces rebelles, la narratrice nous faire part de l’autre versant, moins luisant et souvent sombre, de leurs combats. Du suicide de l’exploratrice déplorée, fondatrice de Carthage, à la mort tragique de l’icône de la scène juive en passant par la mal-aimée mystique sanctifiée et la déception de l’avant-gardiste qui prône l’abolition du voile, le chemin a été semé d’embûches. À croire que, comme l’écrit si bien l’auteure en introduction, « cette soif féminine de liberté, cette insurrection contre les ordres et les dogmes n’est pas une denrée d’importation puisqu’elle s’inscrit dans une histoire locale plusieurs fois millénaire ».

 

Avec cet ouvrage qu'elle a voulu différent du pavé qu’elle a réécrit sur Bourguiba, Sophie Bessis veut cette fois-ci toucher un public plus large.

 

 


[1]. Sophie Bessis a été rédactrice en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique.« Les valeureuses » de Sophie Bessis : aux origines du féminisme tunisien