Lina Ben Ayed, jeunesse idéale ou Idéal de jeunesse ?

Lina Ben Ayed, jeunesse idéale ou Idéal de jeunesse ?

Partager

Du 12 au 28 juin se déroule “L’inattendu”, l’exposition de photographies de Lina Ben Ayed. À cette occasion, nous nous sommes rendus à la Musk & Amber Gallery pour la rencontrer. Nous y avons découvert une “belle âme” qui mérite d’être connue, et surtout un travail photographique qui redonne confiance dans la génération future. Portrait.


 

La première chose qui nous frappe lorsque l’on rencontre Lina Ben Ayed c’est sa douceur. Une voix calme parfois presque inaudible qui tranche avec la force qui se dégage de ses photographies. Serions-nous face à un paradoxe ? C’est probable. Une chose est sûre, Lina ben Ayed est une énigme. Une énigme qui se dévoile peu à peu au détour de notre conversation. L’heure que nous avons passée ensemble a été jalonnée de surprise et d’étonnement. Et nous comprenons ainsi tout de suite mieux pourquoi elle a choisi d’appeler son exposition “L’inattendu”. C’est une exposition qui montre beaucoup de choses, au-delà de ce que le simple regard peut voir. Lors de la visite de son exposition, c’est elle qui mène la danse. Selon un ordre bien précis, elle nous montre l’une après l’autre ses photos, dans l’ordre qu’elle a imaginé pour le sens de la visite. Car c’est elle toute seule, “comme une grande”, qui a pensé la scénographie de son exposition. Mais que montre-t-elle cette exposition?

 

Le Coeur... 

 

On découvre d’abord des pieds en gros plan, ceux d’El Yiyo, le gitan qui danse le flamenco. Cette première série s’appelle “Coeur’. Ce danseur, elle l’a photographié sous toutes les coutures. Son appareil à la main, allongée, accroupie, “j’avais l’impression de danser avec lui”. De ses photographies se dégage une forte impression de mouvement, un mouvement qu’elle suspend, qu’elle fige. Comme si elle arrêtait le temps en capturant un moment. “J’aime quand les choses sont faites avec le coeur, pas avec la tête”. Rien ne doit être calculé, pensé à l’avance. Tout réside dans la spontanéité. Pour son shooting avec le danseur de Flamenco, c’était la première fois qu’elle allait à Madrid. Seule, elle a réservé un studio un peu au hasard, ne sachant pas trop bien sur quoi elle allait tomber…

 

...L’esprit

 

Rana Gorgani est une française d’origine iranienne qui vit à paris. C’est aussi une danseuse soufie, derviche tourneuse, et le deuxième modèle de Lina Ben Ayed. Avec Rana, comme avec El Yiyo, la séance photo devait se passer en studio. Évidemment, quand on propose une exposition qui s’appelle “L’inattendu” on se doute que les choses ne se sont pas passées comme prévues. Une fois dans le studio, Lina n’a pas le feeling, elle ne le “sentais pas”, comme elle le dit. Tant pis, se sont les rues du Marais qu’elles investirons, faisant de la cour d’un immeuble leur terrain de jeu. Abandonné sur le sol, elles trouvent un squelette de matelas à ressorts,  “un tas de ferrailles”. Elles lui redonnent une deuxième vie en l’utilisant comme un élément intégré aux photographies.

 

lina_ben_ayed_2.jpg
© Musk & Amber Gallery

 

Pour le shooting avec Rana elle a pris beaucoup de plaisir, “tout était spontané, tout était pur”. Mais une photo en particulier nous interpelle. Un portrait en pied dans lequel on voit Rana les mains tendues, une posture qui nous rappelle étrangement celle des icônes religieuses chrétiennes montrant la vierge Marie Miraculeuse dont la position des mains symbolise l’ouverture et le don. A une différence près, et pas des moindres, le visage de Rana est dissimulé derrière un voile noir opaque. Probablement à cause d’une déformation professionnelle, nous y voyons une symbolique très forte. Il n’en est rien. Encore une fois, Lina Ben Ayed nous explique que le résultat était inattendu. Rana jouait avec son voile et par hasard, il est tombé sur son visage, la scène plaît à Lina, il ne faut pas plus pour qu’elle immortalise avec son appareil. L’innocence réside dans la naïveté.

 

Parce qu’il faut bien que jeunesse se passe...

 

Lina n’est pas contrariante. Elle laisse à chacun le soin d'interpréter ses photos comme il le souhaite. Sur le visage d’El Yiyo, là où je vois de la colère, elle y voit de la passion, dans la main tendue de Rana, la où je vois un appelle à l’aide, elle y voit le symbole de la générosité. Inquiète pour la manière dont je vois le monde, je n’en suis pas moins impressionnée par l'émerveillement perpétuel qui anime les yeux en amande de cette jeune fille. Et lorsqu’on lui demande quel est le lien entre le flamenco et le soufisme, elle répond “nous sommes tous reliés dans ce fichu monde. Pourquoi faut-il toujours trouver une explication?”. Elle qui cherche ses mots, bafouilles un peu parfois, demande souvent si ce qu’elle dit est clair et compréhensible, “je m’exprime mal je pense”, confie-t-elle avec un sourire… Hésitation de jeunesse ou timidité?

 

lina_ben_ayed_3.jpg
© Musk & Amber Gallery

Ce que je ne vous ai pas encore révélé, c’est l’âge de Lina Ben Ayed. “J’ai 18 ans, bientôt 19…” Encore une surprise. Elle n’a pas passé son permis mais à déjà à son actif deux expositions personnelles. La première à eu lieu en Suisse, à Villars-sur-Ollon où elle a exposé des photos prises lors d’un Safari en Afrique du Sud (car oui elle en a déjà vu du pays). Et la deuxième qui se déroule en ce moment même à la Musk And Amber Gallery qui s’avère être la galerie de sa mère. Sa mère, Lamia Bousnina Ben Ayed, a créé cette galerie pour réunir le monde en un seul endroit en présentant des produits de créateurs originaires du monde entier. Pour Lina, cela faisait sens que ses photographies “autour du vivant” se retrouvent à cet endroit, un lieu qui a pour elle une forte charge émotionnelle… Mais ça, ce n’est pas le seul cadeau fait par ses parents. En plus de l’appareil photo offert par son père il y a un dizaine d’année et de la galerie de sa mère dans laquelle elle expose ses photos, ses géniteurs lui ont aussi inculqué des valeurs fortes. Car comme l’a justement fait remarquer Simone Veil, “notre héritage est là, entre vos mains, dans votre réflexion et dans votre coeur, dans votre intelligence et votre sensibilité”.  


 

lina_ben_ayed_4.jpg
© Musk & Amber Gallery

 

Vous commencez à le comprendre, Lina Ben Ayed est surprenante à plus d’un titre. A 18 ans, elle à déjà la générosité en héritage. Elle a décidé de reverser 50% de la recette des ventes de ses photographies à une association caritative qui aide à la scolarisation des enfants issus de quartiers populaires. Évidemment, on lui demande d’où lui vient cette volonté d’aider les autres… Surtout que théoriquement, à cet âge là l’argent que l’on récolte nous sert à faire du shopping ou autre futilité consumériste. “Ça me vient de mes parents”, dit-elle, émue. “La première chose que l’on m’a apprise - et je pense que c’est la plus belle chose qu’on a dans la famille - c’est d’aimer tout le monde, car d’une manière où d’une autre, nous sommes tous liés, nous sommes tous les mêmes”. Avouons-le, nous avons parfois eu le sentiment que Lina Ben Ayed et son discours humaniste pouvait être du “trop beau pour être vrai”... Tant pis, on va quand même y croire.


 

“Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu” - Jean D’Ormesson.

 

Car il n’y a pas d’urgence dans la dernière minute, lorsqu’elle prend ses photos elle laisse beaucoup de place au hasard, à l’accidentel, à l’étonnant, à l’imprévu, à l’inattendu… “Depuis toute petite, je trouve tout le monde beau (..) Pour moi il y a le beau qui touche les yeux, et le beau qui touche le coeur”. Si elle était un personnage de la littérature, elle serait le Candide de Voltaire (la bêtise en moins). Après un bac Economique et social, elle étudie maintenant l'Entreprenariat à l’Université Américaine de Paris - avec des cours de marketing et de finance, bien loin de ses idéaux de pureté et de générosité. Mais il faut bien assurer ses arrières n’est-ce pas ? Et effectivement, quand on essaie de savoir si c’est elle qui a choisi de faire ses études nous obtenons pour réponse un “euuuuuuh oui et non”. Ce qui a toutefois le mérite d’être honnête.

 

lina_ben_ayed_1.jpg
© Musk & Amber Gallery

 

Jusqu’à ses 15 ans, elle a été élève au Lycée Gustave Flaubert de La Marsa. Une expérience qui ne lui laisse pas le meilleur des souvenirs. Face à une jeunesse standardisée et moutonnière, elle peine à trouver sa place. Elle refuse le conformisme. Lorsqu’elle part en Suisse les choses s’améliorent. Lina rencontre des professeurs qui s'intéressent à ses passions, qui voient au-delà de l’élève, et qui reconnaissent en elle l’humain en devenir. Et elle le confirme: “on ne peux pas donner une bonne éducation à quelqu’un sans comprendre comment il pense”. Alors qu’il est communément admis qu’être proche de ses profs revient à pactiser avec l’ennemi Lina, elle, est fière de cette proximité avec l’Adulte. Se sont d’ailleurs ses professeurs qui lui permettront de rencontrer El Yiyo lors d’un voyage scolaire (encore un).

 

Quand je serai grande je serai...

 

“J’adore le partage, je suis une grande optimiste”,  nous dit-elle. Plus tard elle veut voyager, rencontrer des gens, raconter leur histoire… Vaste projet.  Elle aime écrire, parler, elle se voit devenir réalisatrice, actrice pourquoi pas, continuer la photographie... La voilà l'insouciance (un peu naïve) de la jeunesse, à 18 ans, nous avons des rêves pleins la tête et nous sommes convaincus qu’ils pourront un jour se réaliser. Et n’allez pas penser qu’elle rêve d’être photographe. Non, elle, son truc c’est le cinéma. Elle veut faire des films qui montrent l’humain. Elle nous cite son exemple, Nadine Labaki, la réalisatrice libanaise de “Capharnaüm” et comme elle, elle est persuadée que le cinéma pourra changer le monde… Ce monde qu’elle aime tant… Et qui le lui rend bien?