Peace & foot ou le jour où les femmes envahirent le stade

Peace & foot ou le jour où les femmes envahirent le stade

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Vous ne le savez sans doute pas, mais dans un peu plus d’une semaine va débuter en Russie la Coupe du Monde de football, dans sa 21ème édition. Et comme votre radio préférée ne recule devant aucun sacrifice pour vous tenir informé, d’abord elle vous l’apprend probablement (avouez que vous ne le saviez pas !), et ensuite, et bien, elle vous en parle. Mais encore et toujours à sa façon, subtile comme la pub d’une grille de télé ramadanesque, légère comme un shour concocté par sa grand-mère, délicate comme une analyse de match assénée par un ancien joueur tunisien reconverti en commentateur. … évidemment, aucune des phrases qui précèdent n’est vraie, hormis celles qui annoncent que la Coupe du Monde débute dans dix jours, et qu’on va vous en parler (pour les sacrifices, ça dépend, tout le monde n’est pas payé pareil -mais je m’égare). Coupe du Monde. Russie. Haw jayinehaw jayine. Tunisie ! Tunisie ! Tunisie !

 

Jayine, sans doute, mais c’est mraouhine à quoi il va falloir faire attention, pour le public en tout cas, pour éviter veni, vidi, meurtri. Récemment, un responsable officiel russe s’est fendu d’un communiqué visant à rassurer les supporters étrangers sur le point de visiter son beau pays. Preuve que le souci est tout de même pris au sérieux. Le problème, c’est que son communiqué mentionnait peu ou prou que les seuls ennemis des Russes sont les Ukrainiens, mais ils ne sont pas qualifiés, les Polonais, les Croates ennemis traditionnels de leurs frères serbes, et les Allemands ; et que les autres devaient tout de même faire attention à bien se comporter. … Même d’un huissier notaire ou pour un contrôle fiscal, j’ai déjà eu des invitations plus chaleureuses. Heureusement pour les Ukrainiens et les Turcs qu’ils n’y vont pas… Et si on regarde l’histoire russe à travers les âges, je ne suis pas certain que les Suédois, les danois, les Français, les Iraniens, les Italiens ou les Japonais soient candidats au titre de meilleur ami pour toujours de la sainte Russie. Sans oublier les Anglais, avec lesquels s’il n’y a pas de contentieux historique, il y a contentieux hooliganistique.

 

Même si on aime bien Aznavour (et on le diffuse parfois ici. Il aime le foot, d’ailleurs, Monsieur Charles), l’idée n’est pas ici de conter un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Mais il en fut un, de temps, où l’on allait au stade voir un match dans un calme relatif -les bagarres étant toujours possible, hein, chez nous elles sont nées avec ce sport, mais où elles étaient l’exception et non la règle. Et ceci encore plus en Coupe du Monde. D’abord, parce que les voyages coûtaient cher, et aller au Mexique ou au Japon pour voir son équipe jouer éventuellement trois matches et rentrer, et bien, on a intérêt à avoir prévu autre chose pour meubler le séjour. Et si possible, en évitant de laisser la police locale l’organiser, le séjour, parce que l’Argentine de Videla, ou la Guardia Civil formée sous Franco ne furent pas les gentils organisateurs les plus plaisants. Ensuite, parce que le problème du hooliganisme n’est réellement devenu structurel qu’au début des années 1970 au Royaume-Uni. Et que c’est après, quand le monde est devenu mondial, que tout est parti en vrille. 

 

D’abord il y a cette faculté unique qu’a la connerie humaine à faire tache d’huile. C’est la chose la mieux partagée de par le monde et de loin. Et comme le football est le sport mondial par excellence, et bien, la violence entourant le foot est devenue endémique et omniprésente, la télévision aidant à une forme de surenchère et d’émulation d’un pays à l’autre (sinon, comment une bande de racailles goulettoises prendrait le nom d’un club de foot du nord de l’Angleterre comme Aston Villa ?). Et comme les moyens de transport ont été de pair avec ceux de communication, les pseudo-supporters ont ainsi pu aller se mesurer les uns aux autres de façon internationale, surprenant parfois la police locale (ou étant parfois surpris à leur tour, ça s’est vu aussi). Les solutions au problème ont été variées, d’un pays à un autre. On a tapé sur les supporters, on a augmenté les prix des billets, on a obligé tout le monde à s’asseoir, on a décrété le huis clos, on a fiché les supporters, on les a encartés, on a rémunéré les groupes ultrà, il y en a eu pour tous les goûts, et toutes les couleurs. Sans que ça marche jamais vraiment.

 

Mais il y a eu une solution, exceptionnelle, qui nous est venue de Turquie. Bon, c’est sans doute parce qu’on a nos locaux à Montplaisir : dans le quartier, tout ce qui vient de Turquie a bonne presse. Mais le sport turc, avec ses clubs omnisports puissants et très populaires, a un sérieux problème de violence et de canalisation des passions. Un jour (un parmi d’autres…) en 2011, le club de Fenerbahce (ç’aurait pu être n’importe lequel des clubs turcs) a vu ses supporters envahir le terrain de jeu (dans un match amical international, en plus). La fédération turque a alors eu l’idée d’interdire l’accès au stade des stambouliotes à tout individu de sexe masculin âgé de plus de douze ans. En gros, que des filles. Des nanas. Des gonzesses. Des ispess… Bref, des femmes. Comme cette scène dans le film (turc, lui aussi) « Mustang », que je vous invite à voir si vous ne l’avez pas déjà fait. Des supportrices. Il en est venu 41 163. Le stade était plein, elles étaient toutes en maillot (… du club, pas de bain, bande de dévoyés !), elles ont chanté et encouragé deux heures avant le coup d’envoi (embouteillage habituel un jour de match) jusqu’à après le coup de sifflet final, et à part un son plus aigu, on n’aurait pas vu la différence. Enfin, si, les hommes auraient sifflé leur équipe. Fenerbahce a fait match nul 1-1.

 

C’est peut-être la seule solution qui ait fonctionné à ce jour. Merci mesdames.