Philosopher avec « Game of Thrones » ?

Philosopher avec « Game of Thrones » ?

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Nul ne pouvait y échapper !

 

Même le très sérieux « Philosophie Magazine » s’est laissé happer par la vague déferlante venant de Westeros.

 

Un numéro spécial est consacré à la série culte pour célébrer son ultime session.

 

Mais qu’est-ce que la philosophie a à voir là-dedans ? 

 

La citation de Friedrich Nietzsche placée en haut de couverture offre une piste de réponse. « Ils veulent tous s’approcher du trône : c’est leur folie ». Il s’agira donc essentiellement de la lutte effrénée pour le pouvoir. Même si un chroniqueur de ce numéro met un bémol à ce qui a tout l’air d’un jeu de massacre. Mais Machiavel, n’étant pas le cynique que suppose le machiavélisme, il y a bien des nuances dans les ténèbres. Et comme le dit Petyr Baelich ( Little finger) « le chaos n’est pas un gouffre, le gouffre est une échelle ».

 

Ainsi, le philosophe Rapahel Enthoven, partant de Nietzsche, isole, trois catégories de prétendants dont la différence constitue, selon lui, la véritable intrigue de la série. «  Il y a ceux qui désirent le pouvoir pour lui-même ( …) ceux qui y aspirent pour en priver les tyrans ( …) d’autres encore parce que le droit du sang leur donne une légitimité que les usurpateurs n’auront jamais ».

 

Tous les personnages ne sont donc pas des fous de pouvoir. Ned Stark comme exemple.

 

Penser le pouvoir, revient aussi à s’interroger sur le sens (moral) de l’action politique. Games of Thrones qui peut passer pour une revue du cynisme, de la vanité et de la soif aveugle de la domination, ne serait, en fait, qu’un scénario bien honnête puisqu’il n’enjolive pas la réalité. La politique étant ce qu’elle est, autant ne pas trop se faire d’illusions. Une des leçons de la série étant que la vertu n’est pas sûre de triompher. Ni le mal d’ailleurs…

 

« Dire et montrer cette vérité, n’est pas en soi cynique, il s’agit plus d’un acte pédagogique ».

 

L’autre singularité étant ce qui peut se rapporter à un twist scénaristique. Il s’agit là du maniement de la stupeur. On s’attend tellement au pire à tout moment. Et quand il arrive, on en est stupéfaits. Stupeur qui n’est donc pas fille de l’avènement de l’événement qui sort de l’ordinaire mais de l’événement tant attendu, évident, nécessaire et qui survient à un moment qui ne répond pas toujours à la ligne dramaturgique comme elle a été réfléchie par les classiques…

 

Truffé de références et de citations glanées chez Charles Taylor, Saint Augustin, Karl Marx, Rousseau et l’Evangile, Game of Thrones pose aussi des questions essentielles à notre contemporanéité qu’il s’agisse du climat avec l’hiver qui arrive( sous le signe de la collapsologie qui soutient que nous nous dirigeons allégrement vers la catastrophe et l’extinction de notre civilisation) du genre ( féminisme contre patriarcat, avec un avantage pour le second, même si les femmes restent les plus intelligentes),de religion ( on en dénombre cinq dans la série qui connaissent un regain d’intérêt avec la montée des incertitudes) Le philosophe et romancier Tristan Garcia note à propos du projet de George Martin, l’auteur de la saga : « Plutôt que raconter un territoire païen magique, sur le point de devenir royaume désenchanté des hommes, martin raconte un monde quasi laïcisé. C’est un monde gouverné par les seuls rapports de force, dont les puissances magiques ont disparu. Un monde matériellement archaïque mais spirituellement moderne. Cependant, dans ce monde qui ressemble au notre dans l’esprit, tout ce qui a été refoulé est sur le point de ressurgir (…) ce n’est plus le récit du désenchantement mélancolique du monde, mais de son réenchantement sanglant ». ( les amateurs reconnaitrons le notions chères à Max Weber et Marcel Gauchet !)

 

Le fameux script doctor américain, John Truby, se sert de la métaphore sportive pour expliquer la puissance dramatique et la singularité narrative de la série. Partir avec 14 personnages principaux et 14trajectoires est un fait unique dans l’histoire de la télé. Pour les gérer on met en place une structure de tournoi. Comme à Roland Garros. Un tournoi entre un grand nombre de rivaux finit par la victoire d’un roi. Un seul.

 

Les scénaristes évacuent, selon Truby, la préoccupation morale qui structurait les trajectoires des personnages. Ici, il ne s’agit plus que de stratégies pour s’emparer du trône !

 

C’est de la « théorie politique en action ». Un récit de Realpolitik que de nombreuses personnalités ne désavoueraient pas…

 

Mais il reste que pour triompher il faut être d’abord stratège et c’est par là que l’on peut cultiver une morale qui, à elle seule, ne promet à son porteur que déconfiture !

Dur, dur le « Game of thrones »…