Tamer Abu Ghazaleh : Portrait d’un virtuose

Tamer Abu Ghazaleh : Portrait d’un virtuose

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On dit souvent que la musique est une "langue universelle", mais ce n'est pas l'avis de l'un des fondateurs de la plateforme musicale pionnière au monde arabe "ma3azef", Tamer Abu Ghazaleh. Selon lui, la musique est un moyen d'expression comme la langue, mais surtout, elle n'est pas compréhensible par tous. Elle dépend surtout de la culture de chacun, de ses références et de son éducation musicale.

 

Comment traduire donc, une musique en une quelconque langue, quand elle n’en est pas une ? Comment rapporter les états d’âme que provoquent des mélodies et des phrases musicales en mots et en ponctuations ?

 

 

Cet exercice s’avère être encore plus pénible quand il s’agit d’aborder les expressions mélodiques du virtuose « Tamer Abu Ghazaleh ». Quand on a pour seules armes des influences et des références enfouies dans l’inconscient, et surtout une peau qui frissonne à chaque note, faire le tour de cet univers sonore étrange et surprenant n’est pas une mince affaire.

 

L’enfant précoce

 

Quand ceux de son âge apprenaient encore à marcher correctement et à composer des phrases à deux mots, Tamer Abu Ghazaleh lui, commençait ses premières performances musicales à l’âge de deux ans.

Né au Caire en 1986, cet enfant de réfugiés palestiniens avait enregistré son premier morceau « Ma Fi Khof » (Pas de peur) à l’âge de cinq ans, durant la première Intifada. La composition, il s’y aventure dès l’âge de 9 ans, pour enfin sortir son premier album « Janayen El Ghona » (les Jardins du Chant) en 2001, alors qu’il avait à peine 15 ans.

 

Et c’est à partir de 1998 qu’il rejoint le « National Conservatory of Music in Ramallah » (actuellement le « Edward Said Conservatory »), pour en sortir armé de oud, buzuq, et cordes vocales au timbre qu’on reconnaît dès les premiers do et ré.

C’est peut-être un hasard, ce sont peut-être les origines communes avec Edward Saïd, c’est peut-être la vie d’exilé... Une chose est sûre, cette identité d’exil on la retrouve en parcourant ses morceaux. Une ode à l’exil et à l’étrangeté, dans son titre « El Ghareeb » (L’étrange ou l’étranger).

 

 

 

 

 

 

L’artiste “communautaire”

 

Enfant biologique d’un pays mis en quarantaine, et par adoption d’un pays en crise politique et sociale perpétuelle, le chanteur, compositeur, producteur, et activiste palestinien né et installé en Égypte, peut être assimilé à un gourou de la scène alternative arabe. Multiples collaborations et divers projets artistiques, c’est certainement la raison qui pousse certains à le surnommer le « Chef de file de la scène indépendante arabe ».

 

Et son nom en évoque d’autres : Khyam Allami, Maurice Louca, Maryam Saleh, Yacoub Abu Ghosh, Zeid Hamdan, Donia Massoud. En un mot, son nom évoque toute une scène « alternative » loin des productions commerciales.

 Il produit, il s’associe, il se met en groupe, il revisite, pour donner des couleurs et des genres nouveaux, au bonheur des mélomanes de cette région en soif d’originalité et de musique qui leur ressemble.

 Il évoque et invoque Hathor, ou un quelconque Dieu, pour prendre soin de cette génération orpheline, en malaise, lassée des prières qui durent depuis des années.

 

 

 

 

 

 

 

L’artiste engagé

 

Fils de la terre sainte, il a réalisé son deuxième album « Mir’at » (le Miroir) pendant la deuxième Intifada et a composé une bonne partie de ses tracks sous le couvre-feu. Cette sensation d’oppression se fait sentir tout au long de l’album. Son engagement pour la cause maternelle est parfois direct, non sans humour et cynisme. On y découvre une intelligence fine, et un positionnement politique clair.

 

Dans cette approche s’inscrit « Khabar Ajel » (Flash Info), extrait de son troisième album « Thuluth ». Une chanson aux rythmes électro-rock pour tourner en dérision la situation politique palestinienne interne et le conflit historique de la région.

 

 

 

 

 

 

 

Le poète fou

 

Qays Ibn al-Mulawwah, le fou de Leila, celui qui, pour l’avoir nommée, et contre les codes de la société Jahilite, avait perdu sa dulcinée. Ainsi choisit Tamer Abu Ghazaleh ses poètes qui frôlent la folie, qui cassent les codes et qui se complaisent dans le politiquement incorrect.

 

Naguib Sourour, Mahmoud Darwich, Tamim Al-Barghouti, Ramez Farag … Les images qu’ils invoquent sont métaphoriques, et quand reprises par Tamer Abu Ghazaleh, elles ne sont plus à prendre au pied de la lettre.

 

Et c’est peut-être « El Balla'at » qui est l’incarnation même de cette prédilection pour la poésie. Une chanson aux paroles empruntées à tous ces poètes controversés, dont Tamer Abu Ghazaleh, lui-même.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le compositeur blasphématoire

 

Aucune de ses compositions n’en rappelle une autre. Il saute d’un registre à l’autre, les tempos peinent à le suivre, essoufflés. Il fait le tour des Maqams, et crée des boucles musicales vertigineuses, agressives par moments, salvatrices par d’autres. Il est peut-être blasphématoire. Mais son génie ne laisse pas l’ombre d’un doute.

 

Ainsi se résume son art, un titre qui se joue des palpitations cardiaques du plus averti des schizophrènes musicaux.

 

 

 

 

 

 

Photo de Couverture : Omar Mostafa