« Trois Visages » : La tendre dissidence de Jafar Panahi…

« Trois Visages » : La tendre dissidence de Jafar Panahi…

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On présente souvent le cinéaste iranien Jafar Panahi comme l’héritier d’Abbas Kiarostami dont il a été d’ailleurs l’assistant.

Je vais vous avouer que j’ai une préférence pour le disciple.

Jafar Panahi emprunte à Kiarostami son univers épuré, poétique, minimaliste, « documentarisant ».

Il œuvre avec beaucoup de spontanéité et de mise à distance ce qui évite la dramatisation et le tragique même dans les moments les plus tendus.

Comme Kiarostami, Jafar Panahi, insiste pour laisser au spectateur une grande marge interprétative qui lui permet de créer sa propre lecture du film.

Il laisse au spectateur la liberté pour décrypter et réaménager les épisodes et les micro-événements qui constituent la fable, pour que chacun compose sa propre musique.

Mais la filmographie de Jafar Panahi se singularise par un aspect qui me semble déterminant.

Face au cinéma contemplatif et abstrait, truffé de renvois philosophiques et inspiré existentiellement que développe Kiarostami, Panahi propose un cinéma où perce fortement un sous-texte social et politique.

Il s’agit bien d’une confrontation de deux formes de réalisme. L’un qui se place du côté de la révélation et l’autre qui aborde le réel comme « objet » d’analyse.

Jafar Panahi paie d’ailleurs le tribut cette démarche.

Ses films sont interdits en Iran où ils ne sont visibles que grâce aux circuits du marché noir.

Il est condamné à six ans de prison avec interdiction de réaliser des films et de quitter l’Iran.

On lui reproche, outre son indépendance d’esprit, sa participation aux manifestations en faveur de la démocratisation de la vie politique.

Fils d’une famille pauvre, issu des quartiers déshérités de Téhéran, Jafar Panahi fait de la lutte contre les inégalités, pour la liberté d’expression et la cause femmes, les thématiques de ses films.

Et il le fait sans céder aux discours.

La retenue et la confiance en ce que peuvent communiquer les images, font la force de l’univers esthétique de Panahi.

«  Trois visages » a été présenté en compétition à Cannes en 2018 où il a obtenu le prix du scénario.

« Trois visages » est une histoire qui se développe entre drame, tendresse et quiproquo.

Une célèbre actrice iranienne reçoit la vidéo de Marzieh, une jeune provinciale qui vient d’être admise au conservatoire d’art dramatique de Téhéran.

La jeune fille rappelle à l’actrice qu’elle lui avait demandé son aide, pour échapper à son entourage conservateur, qui refuse qu’elle devienne comédienne…

La vidéo s’arrête brusquement quand la jeune fille filme la mise en scène de son propre suicide…

L’actrice, bouleversée, quitte le tournage où elle travaillait et accompagne son ami Jafar Panahi, qui joue son propre rôle, dans un périple à travers les régions reculées de l’Iran et à travers ces paysages montagneux.

L’actrice veut savoir s’il s’agit d’une manipulation. Et pour cela, elle entreprend avec son ami réalisateur un voyage où ils iront de rencontre en rencontre et qui finira par les transformer.

Ils vont s’attacher aux gens et comprendre leurs difficultés dans un environnement qui ne laisse pas une grande place à l’ambition au rêve et surtout à la différence.

Le destin de shahrazade est exemplaire de cette intolérance. Cette femme qui dansait et chantait dans les films avant la révolution, vit aujourd’hui recluse presque bannie par les villageois.

Trois visages, trois générations de comédiennes, trois époques de l’Iran contemporain font de ce road movie une puissante allégorie politique.

Une allégorie où l’humain n’est jamais jugé, mais approché dans sa différence.

Les rapports entre les personnages, sont souvent brusques, cassants mais ils révèlent toujours une énorme tendresse. Une sorte de fragilité autrement ineffable…

Le film se ferme sur une note d’espoir. Quand il filme deux femmes avançant, seules, sur un sentier dégagé, Panahi semble penser que la nouvelle génération d’iraniennes, même si elle continue de pâtir du traditionalisme finira par trouver le chemin qui lui sied… celui de l’émancipation…