5 bonnes raisons de (re)voir Stalker d’Andrei Tarkovsky

5 bonnes raisons de (re)voir Stalker d’Andrei Tarkovsky

Partager

Sorti en 1979, Stalker est un no man’s land, une terre perdue dans un monde dénaturalisé où pourtant la nature foisonne. La zone, lieu terrible où s’exaucent tous les vœux. Prétexte à une traversée psychosensorielle, existentielle, sémiologique et sémantique (l’image créant le sens et le sens créant l’image). Ce tiers-espace que le passeur fait traverser aux deux protagonistes n’est que le commencement et non la destination.

Des raisons de regarder ou revoir Stalker, il en existe très certainement des centaines. En voici 5 qui auront raison de toutes les réticences.

 

5 - La musique d’Edouard Artemiev

La musique dans tout film, quelle que soit la mouvance à laquelle il appartient, représente un pilier, un véritable actant à part entière. Actant et non acteur, sans être un véritable personnage, elle conditionne le récit, lui donne un niveau supplémentaire de sens et actionne des sensations supplémentaires qui viennent se greffer à celles qu’apportent les autres éléments narratifs. C’est ainsi que dans Stalker, c’est en vrai actant qu’agit l’oeuvre du compositeur russe Edouard Artemiev, interprétée magistralement par l’orchestre de Emin Khatchatourian. Ésotérisme profane et mélodies qu’on dirait héritées de temps révolus, la bande-son est une odyssée à elle seule. Artemiev dans Meditation par exemple s’adresse à ce qu’il y a de plus profondément inscrit dans nos gènes. Écoutée seule, la musique de Stalker fait chavirer les coeurs les plus revêches. Accompagnant les images de Tarkovsky, elle devient clé de voûte, portail vers une expérience extrême et purement spirituelle.

 

4- Un film en énigme

David Lynch, pionnier du cinéma fantastique, disait: « Je ne sais pas pourquoi les gens s’attendent à ce que l’art ait du sens, alors qu’ils acceptent le fait que la vie n’en a pas. »

Quand on se penche sur le cinéma d’André Tarkovsky, toute quête de linéarité et de rocambolesque à la James Bond est vaine. Le synopsis qui généralement alimente l’envie du spectateur d’aller à la rencontre de telle ou telle œuvre rebute dans le cas de Stalker (mais encore, l’Enfance d’Ivan, Solaris, bref tout le cinéma Tarkovskien). C’est l’histoire de… à dire vrai, il n’y a aucune histoire. Voilà.

Il y a des protagonistes, le passeur, sa femme et sa fille,  l’écrivain, et le professeur. Sur ces derniers, plane l’ombre de la zone, lieu où la flore cohabite avec des artilleries militaires, faisant office de faune. Le trio masculin traverse ce non-lieu dans le but ultime de voir les désirs réalisés, sauf que ce qui se réalise au final c’est tout simplement l’un des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma.

 

3- Liberté de la réception, un cadeau tarkovskien

Stalker serait à bien des égards un film de cinéma pur. Rappelons à cette occasion que le cinéma, à sa naissance, avait la vocation de donner à voir le mouvement. Depuis, les ambitions ont grandi et avec elles, le désir de transmettre de plus en plus au récepteur de l’image-mouvement,  de l’image-son, de l’image en tant que composition, et toujours, de l’image en tant que stimulus. Andrei Tarkovsky a la vocation de stimuler, de catalyser, d’offrir, non du sens, du récit, mais plutôt une réaction, démultipliée par la complexité de chaque spectateur et selon sa propre subjectivité. Bâti selon ce code, Stalker offre une liberté totale à son public. Fait extraordinaire si l’on oublie le contexte historico-politique de la fin des années 70. L’art libre et qui libère, voici ce que nous raconte Stalker.

 

2- Des images qu’on touche et qu’on sent

Les dialogues de Stalker sont écrits presque comme une symphonie, avec des silences, beaucoup de silences, des moments de logorrhée, des échanges laconiques, mais encore des monologues et des apartés où le spectateur prend tout pour lui et sur lui. L’image, pendant ce temps, s’offre selon la composition rigoureuse de Tarkovsky ; elle donne à voir des poissons noyés avec des pièces de monnaie dans des eaux étranges, elle montre le passeur allongé sur l’herbe sauvageonne de la Zone, enfoui dans les buissons comme un élément naturel, végétal. La caméra de Tarkovsky filme des plans où on nage dans des sables. La lumière éclaire, quant à elle, comme le ferait la Lux divine. Stalker respire le mysticisme, c’est un film qui aspire à la transcendance, à la fois en tant qu’acte de création et en tant qu’objet d’art. Tous les sens sont mobilisés, dans une approche où le bruitage et ses jeux, additionnés aux autres techniques, favorisent la synesthésie, c’est-à-dire respirer ce qu’on voit, toucher ce qu’on entend et goûter à ce qu’on touche.

 

1- Andrei Tarkovsky   

S’il fallait ne garder qu’une seule raison, ce serait celle-ci : le génie du réalisateur russe. Le créateur a bouleversé l’histoire du cinéma qui peine encore à s’en remettre. Difficile de faire comme si de rien n’était. Avec des films comme Sacrifice, l’Enfance d’Ivan, le Miroir, Nostalghia et j’en passe, la barre est déplacée au plus haut. Tarkovsky, certes à l’instar de nombreux cinéastes, réalise des films, écrit des scénarios, se crée un casting de prédilection…à la différence près qu’au lieu de concrétiser un projet cinématographique, il érige tout un système de pensée, de réflexion et d’expérience du monde. Ce qu’il offre à son spectateur, c’est du pur, du brut, mais sans agression. En son cinéma, nous nous trouvons bénis.

 

 

Fatma Bel Hédi