Blow up.  Antonioni et l’inadéquation au monde…

Blow up. Antonioni et l’inadéquation au monde…

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« Antonioni regarde les choses radicalement, jusqu’à leur épuisement ». C’est dans ces termes que Roland Barthes parle de

Michelangelo Antonioni l’auteur de « Blow up » Palme d’or à Cannes en 1967.

Antonioni a été critique de cinéma et théoricien, scénariste notamment pour Roberto Rossellini et Federico Fellini.

Il a réalisé ensuite de nombreux documentaires avant d’entreprendre à partir de 1950 avec « Chronique d’un amour », une carrière qui se poursuivra malgré un accident cérébral qui l’a paralysé en 1985.

C’est sur une chaise roulante, et secondé par Wim Wenders, qu’il dirige en 1995, l’énigmatique « Par-delà les nuages ».

Dans le « dictionnaire de la pensée du cinéma », Alain Bonfard, consacre de très belles pages au cinéaste italien, figure incontournable de la modernité cinématographique.

Chez Michelangelo Antonioni, écrit-il « l’image enferme le récit. Elle s’impose, suivie par une histoire improbable, inédite, mystérieuse... »

On l’a compris. Pour Antonioni, le cinéma se joue ailleurs que dans l’intrigue. Réduite, il est vrai, à sa plus simple expression.

La modernité aussi bien littéraire que cinématographique a rompu avec ce qu’on appelle le récit plein.

Dans cette forme, chaque effet s’explique par une cause. Tous les personnages poursuivent des objectifs concrets. Tous leurs faits et gestes sont justifiés dans le scénario par des motivations psychologiques ou sociales.

En lieu et place du scène à scène, cher par exemple, à Hitchcock, où chaque scène clôt et annonce la suivante, Antonioni propose une logique d’ensemble. La mise en scène est construite sur des échos, des chevauchements et des ellipses fortes etc…

Antonioni place ses personnages dans une inadéquation au monde. S’il n’est pas toujours hostile ce monde est souvent indéchiffrable.

Le mystère, le hasard, l’indécision, l’insatisfaction et l’incapacité des anti-héros à verbaliser leur écart par rapport au réel et par rapport à autrui sont les motifs récurrents des frêles lignes narratives d’Antonioni.

Blow up, nous permet de sonder l’univers criblé de vacuité d’Antonioni. Une vacuité spirituelle au cœur même de l’abondance matérielle.

Un univers qui n’a pas peur d’affronter le dévidement du récit, l’errance des personnages et l’affaiblissement des valeurs fortes.

Blow up pose concrètement la question de la vérité.

Qu’est-ce qu’une image vraie ?

Quel sens peut avoir l’art ?

Antonioni prend pour personnage un photographe de mode qui évolue dans les milieux branchés du Swinging London du milieu des années soixante.

Thomas, campé par David Hemmings, passe la matinée à prendre des clichés dans un parc désert. Il perçoit un couple qui s’embrasse. Il le photographie de loin. La femme, Jane, s'aperçoit de la présence de Thomas et lui réclame les négatifs ; mais Thomas refuse. Elle le retrouve ensuite dans son studio. Thomas lui donne une pellicule vide. Intrigué, il développe les photographies du parc, et réalise par agrandissements successifs qu'il a été le témoin d'un meurtre. Il se rend sur les lieux et découvre le cadavre que ses photographies lui ont révélé. De retour chez lui, il trouve son atelier vide : tous ses clichés et négatifs ont été volés. Désemparé, il cherche conseil auprès de son éditeur et ami, mais en vain. Au petit matin, il retourne au parc, pour découvrir que le corps a lui aussi disparu…

Raconté comme ça, le film, qui est adapté d’une nouvelle de Julio Cortazar, peut ressembler à un thriller. Mais Antonioni veut raconter autre chose. Thomas est distrait, il est constamment détourné de son objectif, il ne va jamais au bout des choses. La technologie ( ici la photographie) au lieu de l’éclairer, le trompe. Plus il agrandit la photo, moins il y voit clair…

Réflexion sur l’art et sur son aspect illusoire, sur la futilité de la société de consommation, sur les médias qui voilent à force de dévoiler et sur l’effacement du héros classique, Blow up, reste esthétiquement et thématiquement époustouflant de modernité.