Le Roi des trophées

Le Roi des trophées

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Parmi la pléthore de coupes et de breloques ayant émaillé l’histoire sportive en Tunisie, et il y en eût des dizaines (y’a même eu une coupe Koudiat !)(pour compenser, empressons-nous de mentionner qu’il y eut aussi une coupe Aïn-Garci, chacune dans un sport différent), nombre encore accru par les compétitions internationales auxquelles nos équipes participent désormais, quelques-unes sortent du lot. Et parmi celles-ci, dans la mémoire collective, l’ancien trophée du championnat matérialisé par un lion sculpté en 1936 (un lion sans crinière, ce qui le rend de suite particulier) occupe une place à part.

Un symbole d’apaisement

Déjà, et pour commencer, cette sculpture est pionnière. En effet, alors qu’on pratique le football en Tunisie depuis un demi-siècle, que le championnat a démarré trente ans plus tôt et qu’il s’est structuré quinze ans auparavant, il n’y a pas encore de trophée symbolisant le titre de champion national en 1936. Ceci explique en partie que la Coupe de Tunisie (qui a, elle, un trophée qui la symbolise physiquement, et qui au contraire du championnat regroupe l’ensemble des clubs du pays) soit considérée alors plus importante. Le Lion marque donc les esprits car il est une nouveauté, le roi des animaux consacrant le roi du football pour la saison.

Ensuite, la sculpture vise à l’apaisement. C’est quasiment dans son patrimoine génétique. Le ‘beautiful game’ ayant conquis la population tunisienne comme celles du monde entier ou presque, et les clubs ayant souvent une facette politique, le nouveau résident général, Armand Guillon, s’y intéresse particulièrement. Il est utile de le rappeler puisque statistiquement, 5% de l’auditorat de la plus fantastique radio tunisienne existant est susceptible d’être assez peu au fait de l’Histoire pour confier sa voix à un gars déclarant que ‘Bourguiba a bradé le fer tunisien pour construire la tour Eiffel’ ou à son parti (et nous sommes à Monplaisir. ‘Nous sachons’.) : lorsqu’il est nommé en 1936, Guillon (homme de gauche qui succède après trois ans au fasciste Marcel Peyrouton, brute épaisse qui se distinguera dans la France pétainiste) vise à ramener le calme dans le pays. Il va s’y employer dans plusieurs domaines, et notamment celui du sport.

Après la libération des détenus politiques, le retour à la liberté de la presse et quelques autres mesures sympas dans la foulée de sa venue, 1937 voit ainsi entre autres l’inauguration du stade municipal de Sfax (l’actuelle tribune couverte du Taïeb M’hiri, le 17 janvier, avec la venue de l’Espérance pour donner la réplique à une ‘entente de Sfax’ -score 2-2, pour les plus curieux), celle de nouveaux terrains à Kairouan ou Hammam-Lif, la création d’El Makarem à Mahdia, une floppée de tournois divers (une compétition d’acrobatie aérienne est parrainée par… Madame Guillon). De quoi occuper les dimanches du bon peuple. Et à la mi-avril est révélée dans la presse l’œuvre d’art qui désormais sera remise au champion de Tunisie de football.

Le Lion d’or

Et il faut avouer qu’il a de la gueule, ce Lion, à défaut de crinière. S’étirant tout en muscles sur son socle, il brille de mille feux, fait qu’il est de bronze doré à l’or fin là où toutes les coupes précédentes étaient cuivrées ou argentées. Aussi resplendissant que l’île du Pilau lors de l’équinoxe. Forcément, ça contraste. D’autant qu’à part la Coupe de Tunisie, trophée oblongue, assez fin pour le laisser relativement léger mais le rendant difficile à brandir (surtout parce que le couvercle se casse la figure -je le sais pour l’avoir eu en mains), aucune autre œuvre de récompense n’est aussi grande -ni aussi lourde (six ou sept kilos. Je l’ai aussi eu en mains). Un joueur normalement constitué peut le porter, le Lion, et même à bout de bras, mais pas d’une seule main…

Seule la seconde Coupe de Tunisie, celle conçue vingt ans plus tard et mise en jeu à dater de l’indépendance avec le profil d’Habib Bourguiba ‘en médaille’, fera quasiment aussi lourd et encore plus volumineux (il faudra deux joueurs stadistes pour son premier tour d’honneur). Mais elle sera argentée (et ses héritières seront plus modestes en dimensions), laissant au Lion une sorte de primauté. En parlant de primauté, le premier à le brandir sera Aldo Medina, capitaine de l’Italia vainqueur du Sfax Railways, au stade Smadja-Borg (rebaptisé ensuite Young-Perez et depuis démoli pour y rebâtir la Cité Nationale Sportive d’El Menzah). Le dompteront par la suite le Savoia de La Goulette, le Club Gabésien, le Club Africain, le Club Bizertin, l’Etoile du Sahel, le CS Hammam-Lif, le Stade Tunisien, l’Espérance, le Sfax Railways, le Club Sfaxien et la Jeunesse Kairouanaise, avant que l’EST ne le mette définitivement en cage.

Le Lion dort

Il demeure désormais au sein de la salle des trophées du siège du club de Bab Souika, et bien que celle-ci plie sous le nombre, il continue plus par sa majesté que par son importance à éclipser le reste de la vitrine -y compris l’Aigle qui lui succéda, et qui bien que tout aussi volumineux, fut d’un travail infiniment moins fin dans la sculpture et la dorure. Mais il connu quelques péripéties avant de rejoindre sa dernière demeure, telle cette éclipse de quelques mois lorsqu’un dirigeant du club tenant du titre le séquestra chez lui sans mot dire, vexé qu’il avait été de ne pas être reconduit au sein de son comité directeur… Ou, mais c’est à mettre au conditionnel, lorsqu’un cambrioleur aurait exercé sa profession au détriment du local sang et or pour aller exhiber ensuite le fauve du côté de Mellassine, lui construisant un autel aux couleurs de son équipe favorite et invitant les gens à poser en photo à ses côtés. Pas l’option la plus discrète pour un hors-la-loi, ce qui fait penser à une légende urbaine…

Quoiqu’il en soit, ce Lion ne mourut pas ce soir-là, pas plus que lorsque la guerre mondiale ravagea notre beau pays et qu’il fut mis à l’abri dans une huilerie afin d’éviter d’être fondu pour en récupérer l’or -mais là aussi, ce n’est que légende désormais invérifiable. Restent pour ceux qui l’ont vu, rêvé et convoité les milliers de souvenirs qui s’y attachent, enveloppés du halo éblouissant de la lumière que reflétait son or au soleil et, plus encore, de celui de la nostalgie qu’il évoque désormais.