Rochdi Belgasmi.. La danse, sans retouches

Rochdi Belgasmi.. La danse, sans retouches

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Rochdi Belgasmi est un artiste tunisien au parcours atypique alors qu’il ambitionnait  à devenir chorégraphe et un danseur de talent.  Faute d’école de danse agréée par l’Etat, il s’est orienté vers le théâtre, entamant des études à l’Institut Supérieur d’Art Dramatique de Tunis (ISAD ) tout en poursuivant une formation parallèle auprès des plus grands chorégraphes de danse tunisiens tels que Nawel Skandrani, Hafiz Dhaou et Aicha Mbarek.

 

Une fois son master en poche, il entame une carrière de danseur professionnel, couronnée de succès avec l’obtention du prix international Olfa Rambourg pour l’art et la culture.

 

Son amour pour la danse remonte à  l’enfance grâce à ses premiers mentors : sa mère et ses tantes qui étaient de merveilleuses chanteuses et danseuses et qui animaient souvent les fêtes familiales.  Un entourage  artistique et plein de vie l’a encouragé donc à se lancer sur cette voie. Cependant, le déclic ne s’est produit qu’en 2011 lors de sa rencontre avec l’icône de la danse populaire, Khira Oubeidallah, surnommée « Khira la blonde » qui lui a fait découvrir le monde de la danse folklorique et populaire tunisienne et depuis,  Rochdi tente de créer  une certaine harmonie, une symbiose entre la danse populaire et la danse contemporaine dans le but de toucher un plus large public. Il enchaîne les chorégraphies : un premier solo intitulé « Trans » en 2011, « Zoufri », et  le spectacle « Strip-Tease » de Moez Mrabet en 2012  qui a suscité une grande polémique, « El Mansia » en 2014  de Lassaâd Ben Abdallah et « El Zaglama », «  Wa Idha Aassaytom » qui a eu un grand succès à l’étranger.

 

Ce parcours artistique a contribué à sa dernière création  « Ouled jellaba » qui tourne autour d’un personnage haut en couleur ayant vécu à Tunis, à Bab El jazira précisément,  à une époque charnière du pays,  entre les deux guerres , dans une ambiance de tension, de malaise et de pression.  Cependant,  dans certains espaces clos, va se jouer une autre ambiance plus festive et plus légère ; des espaces appelés communément « Kafichanta » où des travestis se produisaient afin de divertir un public d’hommes, se substituant ainsi au rôle de la femme, qui, à cette époque ne pouvait s’exhiber sur la place publique.

 

D’ailleurs,  cette pratique n’est pas sans rappeler celle du théâtre Kabuki japonais où des hommes se spécialisent dans les rôles féminins.

 

Ce n’est qu’après le mouvement libérateur des années 40 que les femmes commencèrent  à danser,  emboitant le pas à ces hommes qui tombent peu à peu dans l’oubli. Pire,  ces personnages de la scène artistique tunisienne ont été rejetés et bannis de l’histoire, une sorte d’amnésie qui a complètement supprimé l’existence de « Ouled jellaba » et avec elle tout un pan de l’histoire de la danse tunisienne pour ne garder que le parcours de Hammadi Laghbabi qui se produisait avec le «dengri» et le «zonnar» et se targuait d’apprivoiser la danse en mettant sur pied une gestuelle exclusivement masculine qui s’exhibait au grand jour .

 

Sur son choix de ce personnage, Rochdi explique qu’il a connu « Ouled jellaba »à travers un témoignage de l’historien Othman Kaak qui considérait « Ouled jellaba » comme étant une calamité à soustraire de notre mémoire et patrimoine. Cette volonté de pervertir  l’histoire et de l’embellir a scandalisé Rochdi. Il estime que donner un style esthétique au patrimoine dénature complètement la beauté de ce dernier.

 

 Il décide de réhabiliter les gestuelles issues de notre culture, au risque de choquer certains esprits.  Il considère que notre société se renferme sur elle-même malgré une apparente ouverture et se tend vers une forme de pudibonderie et de puritanisme qui n’existait pas dans les  années 1920 où les gens se divertissaient en toute simplicité, sans tabous.

 

Afin de contrecarrer ce mouvement disciplinaire et  réunir l’art populaire et l’art élitiste, Rochdi décide de se rebeller  en incarnant ce personnage avec des accessoires appartenant aux danseuses d’antan dans un spectacle d’une heure et quart où il exhorte le spectateur à la réflexion sur l’androgynie dans le but de le réconcilier avec son corps.