Britpop : L'Oasis contre le Mirage

Britpop : L'Oasis contre le Mirage

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Ze britpop war

On en a beaucoup parlé récemment, il y a dix ans que les frères Gallagher se mettaient une fois de plus sur la gueule, sonnant le glas d’Oasis, l’un des groupes-phare de la britpop, une demi-heure à peine avant un concert à Paris. Coïncidence heureuse, ce dixième anniversaire de la beigne de trop pouvait se doubler du 25ème (déjà !) de la sortie de leur premier single, l’ébouriffant ‘Supersonic’, titre halluciné écrit à 3 heures du matin par Noël Gallagher « le temps que six mecs ingurgitent de la bouffe chinoise » (dixit l’auteur). Ce double anniversaire un rien tiré par les cheveux est surtout l’occasion rêvée de ressortir (et de commercialiser) quelques trucs des placards, dont le documentaire (originalement intitulé ‘Supersonic’) consacré au groupe Oasis et qui a permis (toujours selon Noel Gallagher, patron et compositeur alpha du groupe) « à un tas de nouveaux branleurs de [le] découvrir ». Oasis a toujours su être caressant avec ses fans.

Ah, la ‘britpop’ initiée par Suede… Ce retour jouissif de riffs de guitares comme contrepoids à la vague de musique électronique, vite récupérée par brassées de raves pour devenir plutôt péquenot que techno. Ces mélodies de nouveau composées entre potes authentiques, en pleine déferlante de boiyzze bandent (et geurlz aussi, faut pas croire) préformatés. Cette planche de salut d’une génération coincée entre les raps west et east coast. Cette lumière au bout du tunnel nihiliste du grunge américain, que ces anglais qui roulent du mauvais côté prennent forcément à contre-sens… Ouais, en fait, non.

Non, parce qu’à part leur détestation unanime et bien réelle des boys band artificiels, tous les groupes libellés britpop (parfois malgré eux) ou presque utilisent des éléments techno (Saint Etienne, entre autres), empruntent au hip-hop (le ‘wording’, tel Blur avec ‘Parklife’ par exemple), ont réellement de l’admiration pour la créativité de Nirvana ou Pearl Jam. Ils ont tout ça mais ils sont simplement plus positifs, plus branchés ‘la vie vaut la peine d’être vécue tant qu’il y a des pintes, des clopes et des filles’ que ‘je veux mourir car ma copine est trop belle et le monde trop parfait pour moi qui ne le suis pas’. Et musicalement, en ajoutant aux précités, avec Elastica, Pulp, Supergrass ou The Verve, on est servis. Et en tête de gondole, il y a donc Oasis et Blur.

Here Come the Sex Beatles

Voyons, une vague de talent musicale venue des îles britanniques et portée par une multitude de groupes, dont deux sont bien devant les autres, ça a un côté déjà vu, non ? Genre, trente ans plus tôt ? Reste aux producteurs à recréer la rivalité entre Beatles et Stones, histoire de faire tourner la boutique. Ca tombe bien, les frères Gallagher n’ont pas besoin d’être beaucoup poussés dans le dos pour aller se friter avec le monde entier.

Déjà, entre eux, leurs jalousies de frangins élevés par une mère seule et désargentée les dressent souvent l’un contre l’autre. C’est Noël, second d’une fratrie de trois, qui passe son temps à faire de la musique et bosse comme roadie. Mais c’est Liam (qui pique à Noël la place de petit dernier de la famille) qui forme un groupe en premier -et renomme ‘The Rain’ en ‘Oasis’, un nom qu’on retrouve partout. C’est Liam qui veut son grand frère comme compositeur et l’impose dans son groupe. Frère aîné qui lui trouve impressionnant le talent scénique de son cadet. Mais ne le lui dira jamais en face et préfère continuer à échanger des baffes avec lui. Cet amour-haine fraternel créé le groupe, et il le perdra aussi. Ainsi, lorsque Liam raconte qu’il a eu la révélation de la musique (qu’il ne maîtrisait pas du tout avant) en revenant à lui après une baston au marteau « comme si on m’avait enfoncé la musique dans le crâne », Noël commentera par un sobre « j’ai un alibi pour ce jour-là ». La source de la maîtrise musicale des leaders d’Oasis est définitivement tumultueuse, Noël ayant lui travaillé sa guitare à force d’arrêts domiciliaires…

Blur, lui, est beaucoup plus consensuel dans sa création : des amis d’adolescence qui au fil de leurs études étoffent leur groupe et finissent par percer en changeant le nom de leur formation (initialement ‘Seymour’). Quasiment banal, sauf qu’ils sont une, voire la référence de la britpop. Et qu’eux et Suede, autre groupe phare de ce renouveau musical insulaire, se détestent, vu que le chanteur de l’un a piqué la copine du chanteur de l’autre. Mais quand Oasis déboule avec toute sa finesse, juste au moment où Blur atteint le succès grand public, plus rien d’autre ne compte que ces concurrents-là. En fait, on réinvente la rivalité Stones/Beatles en l’inversant : on avait donné une allure de garçons sages à des durs de Liverpool, et de voyous ‘no smile’ à des étudiants londoniens de bonne famille. Là, les durs de Manchester le sont vraiment (comme quand ils se bastonnent en bons lads supporters de City avec des fans de West Ham sur un ferry en direction d’Amsterdam), et les londoniens posh (et fans de Chelsea) surjouent à peine leur rôle arty. Et au contraire de leurs aînés, qui s’entendaient très bien et s’estimaient mutuellement, eux se détestent vraiment. Surtout Liam.

La bataille des bacs

Entre « ce serait bien qu’ils chopent le sida » (Liam Gallagher à propos de Blur) et « on va les crever » (Graham Coxon à propos des Gallagher), et l’un ou l’autre évènement où l’on doit physiquement les séparer, la presse boit du petit lait. C’est dommage, parce que la volonté de leurs maisons de disque et des médias de faire tourner la caisse enregistreuse va quasiment faire se sentir obligés les fans de l’un à ne pas aimer l’autre et vice-versa, alors qu’il y a de la place pour tout le monde et de la qualité à foison. Cela va surtout générer de la compétition malsaine plutôt que de l’émulation créative. Les frangins auront ainsi du mal à savourer leurs trois Brit awards en 1996 (alors qu’ils font aussi bien que les Beatles qu’ils idolâtrent) juste parce que Damon Albarn et ses potes en auront eux gagné quatre l’année précédente (record toujours en cours). Oasis se consolera ensuite d’en avoir gagné 6 au total, contre 5 à Blur, etc.

Le pic de cette guéguerre va être atteint le 14 août 1995 quand les deux groupes sortent simultanément leurs nouveaux singles respectifs. C’est Blur qui va remporter -de peu- la bataille du single avec ‘Country House’, mais va s’incliner dans la guerre des albums devant le succès phénoménal de ‘(What’s the story) Morning Glory ?’. Au passage, les paroles du single de l’un mentionnent l’expression donnant son titre à l’album de l’autre, on en est là… Moins obnubilés par leurs rivaux, les membres de Blur vont rapidement dégonfler le truc et ne plus se focaliser sur les autres, se réinventer musicalement, balancer ‘Song 2’ dans les oreilles du monde entier, partir dans des projets différents et s’inscrire dans la durée en n’étant pas agglutinés les uns aux autres en permanence. Oasis, dont le moteur est malheureusement plus violent, surtout pour Liam, va tutoyer la perfection avec ‘Wonderwall’, rassembler 250.000 personnes à Knebworth, changer la moitié de ses musiciens et finir comme il a commencé, par une baston sévère (une de plus) entre les deux frères, qui amène Noël à s’en aller à quelques minutes d’un concert en bord de Seine.

Entretemps, le groupe ne sera plus jamais parvenu à retrouver la sonorité brute et prodigieuse de ses deux premiers albums -ni leur succès. Sur ce plan, Blur l’emporte incontestablement, y compris dans les ‘projets dérivés’ ou solo. Ceci amènera Noël Gallagher à radoucir ses relations avec les ‘gars d’en face’, et reconnaître enfin leurs qualités, cependant que les nouveaux supports musicaux et le recul de la musique sur support physique rendent caduc une réédition de ce genre de barnum du single. Quant à Liam, modestement autoproclamé « meilleur compositeur au monde », c’est peut-être en se rendant compte que ce n’est pas le cas rien que dans sa propre famille qu’il a appelé du pied à la reformation du groupe. Jusqu’à une prochaine baston.